La réorganisation interdisciplinaire des réseaux thématiques en mathématiques

Institutionnel

Terre et énergies, algèbre, géométrie, santé, didactique, histoire, probabilités, analyse, statistiques, arithmétique, optimisation... : voici autant de disciplines couvertes par les 16 nouveaux réseaux thématiques de l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (Insmi) mis en place en 2024.

Les réseaux thématiques (RT), anciennement groupements de recherche de l’Insmi, sont aujourd’hui des structures d’animation scientifique à l’échelle nationale. En 2024, ils ont été réorganisés autour d’une quinzaine de grandes thématiques de recherche.  

Découvrez de l’intérieur cette réorganisation avec le témoignage de quatre responsables de RT : Boris Adamczewski, Isabelle Chalendar, Olivier Dudas et Chi Tran.

Les réseaux thématiques joueront un rôle important pour l'Insmi dans sa prospective scientifique, ils seront des interlocuteurs privilégiés pour des questions relatives aux domaines mathématiques qu'ils représentent.
Alessandra Sarti, Directrice Adjointe Scientifique de l'Insmi en charge des unités de recherche, des chercheuses et des chercheurs.

Des thématiques de recherche variées

En 2024, les réseaux de recherche se sont réorganisés en regroupant deux à trois thématiques de recherche similaires. Leur nombre est ainsi passé de 29 à 16. Ces réseaux animent et fédèrent la communauté mathématique, stimulent les interactions entre mathématiciennes et mathématiciens et encouragent l’interdisciplinarité. Les sujets couverts par les réseaux thématiques sont larges et variés : terre et énergies, algèbre, géométrie, santé, didactique, histoire, probabilités, analyse, statistiques, théorie des nombres, optimisation... Retrouvez la liste complète des RT 2024 ici.

Olivier Dudas, responsable du réseau Algèbre (ALGBR), précise que « l’algèbre est un domaine extrêmement vaste ». Ainsi, le réseau ALGBR « ne peut pas avoir la prétention de regrouper toutes et tous les algébristes en France, mais permet plutôt de soutenir certaines communautés autour de thèmes forts ou émergents liés à l'algèbre », ajoute-t-il.

Au sein de ces réseaux, des axes de recherche ont été établis afin de mélanger les problématiques des anciens GDR à l’origine de chaque réseau. Selon Boris Adamczewski, responsable du réseau Théorie des Nombres (RT2N), « La structuration globale du réseau a vocation à perdurer car la théorie des nombres est un grand domaine mathématique inscrit dans une longue tradition. En revanche, les axes de recherche pourront évoluer au gré des connexions entre chercheuses et chercheurs. Ces axes permettent en outre de favoriser les échanges avec d'autres réseaux mathématiques ou issus d’instituts différents ».

Parmi ces 16 réseaux, le réseau Mathématiques de l’aléatoire pour le risque (MATRISK) est nouveau dans le paysage. Ce RT est porté par deux responsables : Anis Matoussi et Chi Tran. Ce dernier résume la genèse du projet : « Nous avions pris contact avec l’Insmi dès 2022, mais les RT étant en restructuration, nous avons dû attendre pour que notre réseau thématique puisse être créé. Cela nous a toutefois permis de peaufiner notre projet. Partant d’une proposition initiale autour des mathématiques actuarielles, nous avons construit un réseau thématique réunissant aujourd’hui quatre axes : l’actuariat, les mathématiques financières, les probabilités et la statistique du risque, les trajectoires rugueuses. Ces spécialités mathématiques travaillent et se développent en synergie ».

L’interdisciplinarité au cœur des réseaux thématiques

L’interdisciplinarité est au cœur de la réflexion portée à cette nouvelle réorganisation. « On sait à quel point la rencontre de deux domaines mathématiques donne lieu à des découvertes insoupçonnées et nous souhaitons que le réseau thématique Algèbre joue ce rôle », note Olivier Dudas. Dans le même esprit, Chi Tran, responsable du réseau MATRISK, s’enthousiasme : « Amener des mathématiciennes et mathématiciens de différentes écoles à se pencher ensemble sur ces questions va être passionnant ».

Les réseaux thématiques se composent des anciens GDR dont les thématiques de recherche étaient proches, sans être identiques. Pour Isabelle Chalendar, responsable du réseau Analyse et Interactions (ANAIS), « plusieurs membres du réseau ANAIS appartenaient déjà à deux anciens GDR : Analyse Fonctionnelle, Harmonique et Probabilités (AFHP) et AMA. Ce rapprochement était de fait très naturel ».

Pour d’autres, la restructuration des réseaux thématiques permettra d’engager des échanges parfois inédits ou peu intenses jusqu’à présent. C’est le cas du RT2N, comme l’observe Boris Adamczewski : « Il serait par exemple intéressant de consolider les liens avec l'informatique, tout en les affichant de façon plus claire. Par ailleurs, il ne faut pas négliger l’aspect humain dans la façon dont la recherche se fédère : certaines thématiques ressentent davantage que d'autres le besoin de s'organiser collectivement.  C'est pourquoi les axes thématiques n'ont pas vocation à couvrir tous les pans de la théorie des nombres représentées en France ; ils ne sont que le reflet de la manière dont celle-ci s'est structurée jusqu’à présent ».

Les sujets abordés impliquent une véritable interdisciplinarité, par exemple avec des biologistes, écologues ou climatologues pour les sujets touchant à l’impact des sociétés humaines sur le climat ou la biodiversité.
Chi Tran, co-responsable du réseau Mathématiques de l’aléatoire pour le risque (MATRISK)

Quels objectifs à moyens termes ?

Au sein du RT ANAIS, l’équipe souhaite d’abord consolider les liens scientifiques internes et organise pour cela une conférence intitulée Les premières rencontres d’ANAIS, du 04 au 07 novembre 2024 à l'université Gustave Eiffel. « Le comité de pilotage s'est réuni en visio-conférence dès le mois de janvier et nous avons invité six oratrices et six orateurs afin de couvrir autant que possible un maximum de sujets de recherche de notre vaste RT.  Ce sont principalement de jeunes scientifiques très prometteurs, parfois post-doctorantes et post-doctorants ou nouvellement titulaires de l’habilitation à diriger des recherches », ajoute Isabelle Chalendar.

Dans cette même optique, le réseau MATRISK a pour objectif de « créer un cadre d’échanges favorisant l’émergence de nouvelles mathématiques et de nouveaux projets, sur des sujets touchant aux transitions de nos sociétés. Ce réseau national donnera aussi plus de visibilité à ces problématiques tant auprès des universitaires que des entreprises », confirme Chi Tran.

La délimitation de certains anciens GDR au sein d’un même réseau thématique est parfois encore très visible, et cela peut se ressentir au sein des équipes. Pour Olivier Dudas, « un des premiers objectifs du RT sera donc de faciliter la rencontre des deux communautés, notamment en organisant des événements conjoints (le premier ayant eu lieu mi-mars) afin que chacune puisse profiter de l'expertise de l'autre ».

Boris Adamczewski note qu’il « va être intéressant d’opérer un travail de maillage, de connexion entre les réseaux. Pour le moment, nous nous concentrons sur la structuration de notre propre réseau ».

Une restructuration accueillie initialement de façon mitigée

Comment cette restructuration a-t-elle été accueillie ? « Avec un peu de méfiance, comme souvent en cas de changement », commente Olivier Dudas. Ces changements ont effectivement d’abord suscité une inquiétude au sein de la communauté scientifique, « pas totalement convaincue par cette restructuration qui a doublé la taille de ce groupement de recherche » remarque Isabelle Chalendar. Boris Adamczewski approuve, car selon lui « certains collègues craignaient de voir les GDR disparaître ou du moins leurs moyens diminuer. En effet, nous n'avons eu connaissance des budgets attribués que tardivement. Regrouper des collègues issus de thématiques différentes était aussi une source de crispation ».

Mais finalement, « L'organisation de ce réseau thématique et sa mise en place s'est faite de façon très naturelle compte tenu des liens scientifiques déjà existants » estime Isabelle Chalendar. « On peut comprendre la crispation autour de ces noms », ajoute Olivier Dudas, « mais en pratique, la construction de ces réseaux doit permettre un décloisonnement ». Boris Adamczewski est quant à lui plutôt optimiste : « Des efforts ont été faits pour que finalement chacun-e s’y retrouve. Ce que l'on constate pour cette première année, c’est que les moyens alloués sont suffisants pour fonctionner et qu'ils nous ont même permis de soutenir de nouvelles initiatives comme la création d'un axe géométrie arithmétique ».

Le réseau MATRISK a été accueilli de façon enthousiaste car il s’agit d’une nouvelle thématique où la statistique peut être représentée. Cette constitution de réseau permet donc de valoriser ce domaine, car selon Chi Tran « La recherche universitaire sur certains des sujets portés par le RT est très disséminée sur le territoire et manque d’ampleur en France. De nombreux jeunes formés dans ces thématiques évoluent vers le privé où la recherche et développement est parfois très active. La création du réseau est donc quelque chose dont nous, universitaires, nous réjouissons et qui permettra de donner du dynamisme et de la visibilité à notre communauté ».

Des actions envers les jeunes collègues

Les actions envers les jeunes mathématiciennes et mathématiciens font partie des priorités données aux réseaux thématiques. Cela passe par l’inclusion de ces jeunes collègues, comme par exemple lors des rencontres annuelles où le réseau thématique ANAIS incite ces derniers à exposer leurs travaux. « Ceci permet à la communauté de connaître les candidates et candidats aux postes de chargé de recherche, maître de conférence ou post-doctorant. Nous organisons des écoles de printemps afin de consolider autant que possible leur bagage scientifique mais aussi afin de créer une synergie entre jeunes chercheuses et jeunes chercheurs », argumente Isabelle Chalendar. Olivier Dudas va également dans ce sens, car cela « permet aux plus jeunes membres du réseau de partager leurs travaux (récents ou futurs) avec la communauté des algébristes, leur donnant ainsi une attention particulière en vue d’un futur recrutement ou d’une promotion ».

Pour Olivier Dudas, la première action du réseau ALGBR sera un soutien financier : « Si nos jeunes membres sont souvent les plus actives et les plus actifs, ce sont aussi celles et ceux qui disposent du moins de moyens pour financer leurs missions (visites scientifiques, conférences...) et leurs invitations. Une partie du budget leur est dédiée et une attention particulière leur est donnée lorsque le RT soutient financièrement un évènement scientifique ». Le réseau MATRISK prévoit aussi des aides en ce sens, afin de « donner plus de lumière à ces sujets d’avenir, liés aux mathématiques de l’aléatoire pour le risque, permettant de les rendre plus attractifs pour des jeunes et de valoriser les futures recherches auprès des pairs et des entreprises », selon Chi Tran.

Boris Adamczewski estime qu’un RT est « d’abord un vecteur d’information. Le RT2N va relayer des annonces de conférences, d'offres d'emploi… c'est un rôle vraiment important, surtout pour les plus jeunes ». Selon lui, il est important de fédérer les membres du réseau afin de susciter un « certain degré d’appartenance et de communauté ». Il est tout autant important de pouvoir identifier des personnes en dehors de son domaine de recherche précis, car « il est illusoire de penser que l'ultra-spécialisation est la bonne façon de résoudre un problème, l'histoire montre qu'il faut souvent aller piocher ailleurs ».

En savoir plus sur la journée des responsables des réseaux thématiques

L’Insmi organise une journée dédiée aux responsables des réseaux thématiques le mercredi 06 novembre 2024 au Centre de Recherche en Mathématiques de la Décision (CEREMADE).

Contact

Alessandra Sarti
Directrice adjointe scientifique
François James
Directeur adjoint scientifique