Maths, entreprises & Société : portrait d'Alesia Herasimenka

Innovation Portraits

Le prix de thèse maths entreprises & société a été créé en 2013 par l'Amies pour promouvoir les thèses de Mathématiques réalisées en partie en collaboration avec un partenaire socio-économique et ayant des retombées directes pour celui-ci. Il est parrainé par les sociétés savantes SFDS, SMAI et SMF.

Parrainé par les sociétés savantes Société Française de Statistique (SFDS), la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI) et la Société Mathématique de France (SMF), le prix de thèse 2024 a été remis lors de la 13ème édition du Forum Entreprises & Mathématiques, lundi 7 octobre 2024.

Alesia Herasimena
© Clémence Losfeld pour la Fondation l'Oréal

 

 

Qu’est-ce qui vous a motivée à faire une thèse en lien avec le monde socio-économique ?

Je voulais travailler sur des vraies missions, pas juste du théorique. En discutant avec mes directeurs de thèses, on a eu l’idée de demander un co-financement de l’ESA pour avoir la possibilité de collaborer avec eux. Pour cela, il fallait écrire une proposition de projet et postuler sur leur plateforme, et ils ont retenu mon projet. Mon travail portait sur les algorithmes d’optimisation convex et de contrôle optimal pour les voiles solaires. LESA ne sintéresse pas beaucoup aux voiles solaires, contrairement à lagence spatiale japonaise (JAXA) ou la NASA, mais ils estiment que les algorithmes que jai développé durant ma thèse sont prometteurs pour dautres applications telles que les opérations de proximité, les rendez-vous entre les satellites.

Pouvez-vous nous parler de votre sujet de thèse ?

Le sujet de ma thèse porte sur le contrôle optimal appliqué aux voiles solaires. Le contrôle optimal est un cadre mathématique. Les voiles solaires, ce sont des satellites qui utilisent la lumière pour être propulsés, à l’analogie d’un bateau voilier qui utilise le vent ! Sauf que ça ne marche pas avec le vent, mais avec la lumière. C’est la même chose dans l’espace : ce sont des photons qui vont interagir avec la grande surface d’un satellite et le pousser dans une direction donnée. On s’intéresse beaucoup à ce type de propulsion aujourd’hui car cela peut être utilisé pour des missions interstellaires. Cela permet d’envoyer des satellites très loin en quelques décennies, contre des centaines d’années avec la propulsion classique.

Comment ce sujet de thèse est-il venu ?

Je dirais au fil de l’eau. J’ai commencé mes études par l’économie, avant de rejoindre l’ingénierie mécanique. C’est grâce à différents projets et cours que je me suis progressivement intéressée à l’aérospatiale. Lors d’un semestre d’échange en Suède, on a eu un cours sur la mécanique du vol supersonique, c’est-à-dire tout ce qui concerne les avions supersoniques mais aussi les fusées. J’ai trouvé ça passionnant J’ai ensuite dirigé un projet étudiant de la construction d’une petite fusée, puis j’ai fait quelques stages sur les satellites… c’est venu petit à petit. 

Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés lors de votre recherche ?

Il n’est pas souvent facile de trouver un sujet de thèse passionnant dans le domaine que l’on souhaite. Il m’a été encore plus difficile de trouver une thèse en tant qu’étrangère, surtout dans le domaine du spatial qui est considéré comme un domaine de défense en France. Je souhaitais initialement faire une thèse en partenariat avec une entreprise, mais la seule possibilité pour moi a donc été de faire ma thèse en un institut de recherche. C’est pourquoi j’ai eu l’idée de candidater auprès de lESA pour avoir leur collaboration et soutien.

De quelle manière votre travail a t-il bénéficié aujourd’hui ou bénéficiera dans le futur au monde socio-économique ? 

Mon sujet a permis d’approfondir notre compréhension des missions spatiales à propulsion faible. Les algorithmes que j’ai développés peuvent servir à plusieurs choses, pas que les voiles solaires. Ça devient de plus en plus intéressant aujourd’hui car on veut pouvoir construire une station spatiale lunaire, envoyer des satellites en formation, etc. De notre point de vue, c’est également un pas en avant pour le développement de voiles solaires pour des missions ambitieuses à long terme, et moins chères, car ces missions nécessiteraient moins de carburant.

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes souhaitant orienter leurs recherches en mathématiques vers des applications concrètes ?

Je dirais déjà qu’une thèse ne permet pas forcément de se restreindre à quelque chose de précis pendant trois ans, mais plutôt d’ouvrir les portes sur des choses assez différentes. On est assez libres durant la thèse, et c’est chouette de pouvoir discuter, d’explorer la direction que l’on souhaite prendre, d’étudier des pistes différentes. Et si quelque chose ne nous plaît pas, on peut aussi changer notre approche. Une thèse permet aussi de collaborer avec de nombreuses personnes, d’aller en conférence, de rencontrer du monde. On apprend beaucoup de choses sur d’autres domaines et c’est très stimulant. Ce qui est très important à mon sens est de bien choisir son équipe. Je n’aime pas travailler seule, et mes directeurs de thèse étaient très à l’écoute et toujours disponibles pour moi, ce qui est une rareté dans le monde académique.

Comment voyez-vous le rôle des mathématiques dans la résolution de problématiques sociétales actuelles ? 

Les mathématiques sont à la base de tout : c’est un langage qu’on utilise pour traduire des équations de physique ou de chimie de manière formelle, ça permet d’avoir des algorithmes qui marchent, ça permet d’avoir une approche de résolution de différents problèmes. Dans mon domaine par exemple, pour trouver une trajectoire optimale on va utiliser l’approche du contrôle optimal des mathématiques pour cela. Cela permet une résolution plus fine, plus sophistiquée, peut-être plus compliquée mais souvent meilleure que les outils plus simples d’ingénierie. 

En tant que jeune chercheuse, comment percevez-vous l’évolution du lien entre la recherche académique en mathématiques et le monde socio-économique ? 

Je pense que les mathématiques servent à résoudre les problèmes de la vie quotidienne. Que ça soit dans le domaine du spatial, de la médecine, de la finance ou même de la politique. Je crois que le développement de l’humanité dépend en grande partie du progrès scientifique, et les mathématiques sont la base de toutes les sciences.

Quels sont vos projets pour la suite ?

J’aimerais travailler sur des missions spatiales ambitieuses qui permettront d’aller au-delà de nos connaissances de l’univers actuelles. Bien sûr, on ne peut pas faire une mission entière seule pour cela, je souhaite faire partie d’une grande équipe internationale.