Vincent Lafforgue, prix Breakthrough 2019

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Vincent Lafforgue, directeur de recherche au CNRS, est récompensé du prix Breakthrough 2019. Félicitations !

Après avoir commencé très jeune à s’intéresser aux mathématiques, Vincent Lafforgue s’est consacré entièrement à la recherche.

Il a d’abord été étudiant puis caïman à l’Ecole Normale Supérieure. Recruté au CNRS peu après sa thèse, Vincent Lafforgue a travaillé pendant plus d’une décennie à l’Institut de mathématiques de Jussieu, avant de rejoindre en 2010 le Laboratoire de mathématiques, analyse, probabilités, modélisation (CNRS et université d’Orléans) puis en 2016 l'Institut Fourier (CNRS et université Grenoble Alpes).


Les premiers travaux de Vincent Lafforgue ont porté sur la conjecture de Baum-Connes. Cette dernière exprime les groupes de K-théorie de la $C^\ast$-algèbre réduite d’un groupe localement compact $G$ en termes d’invariants topologiques « classiques », définis en terme des espaces topologiques munis d’une action propre du groupe $G$ et de leurs espaces classifiants. Rappelons que, par construction, ces groupes de K-théorie sont étroitement reliés aux représentations unitaires tempérées de $G$ et aux algèbres d’opérateurs qu’elles définissent.

La thèse de Vincent Lafforgue, réalisée sous la direction de Jean-Benoît Bost et publiée en 2002, a constitué une avancée spectaculaire, en établissant la conjecture de Baum-Connes pour de nombreux groupes localement compacts satisfaisant à la propriété T de Kazhdan. Par la suite, Vincent Lafforgue a largement étendu et approfondi les techniques et les résultats de sa thèse. Un article commun avec Georges Skandalis et Nigel Higson a produit des contre-exemples à la conjecture de Baum-Connes la plus générale.

Dans un article publié en 2012, qui constitue un tour de force technique, Vincent Lafforgue a démontré la validité, pour tout groupe localement compact $G$ hyperbolique au sens de Gromov, de la généralisation «à coefficients» de la conjecture de Baum-Connes. Cette généralisation « à coefficients » concerne la K-théorie, non plus seulement de la $C^\ast$-algèbre réduite de $G$, mais de la $C^\ast$-algèbre $C^\ast_{red}(G,A)$ produit-croisé par $G$ d’une $C^\ast$-algèbre $A$ quelconque munie d’une action de $G$ (on retrouve la $C^\ast$-algèbre réduite de $G$ lorsque $A=C$). Il a aussi introduit un renforcement de la propriété T de Kazhdan, ayant des conséquences pour les plongements d’expanseurs  dans des espaces de Banach.

Parallèlement à ses travaux sur les algèbres d’opérateurs, Vincent Lafforgue a commencé à s’intéresser au programme de Langlands arithmétique et géométrique, notamment par des collaborations avec Alain Genestier et Sergey Lysenko.

Récemment, Vincent Lafforgue a apporté une contribution majeure au programme de Langlands sur les corps globaux de caractéristique positive dans son article Chtoucas pour les groupes réductifs et paramétrisation de Langlands globale. Pour tout corps global $K$ de caractéristique positive $p$ (c’est-à-dire, pour toute extension finie du corps des fractions rationnelles $F_p$($T$)
sur le corps fini $F_p$:=$Z/pZ$) et pour tout groupe réductif $G$ sur $K$, Vincent Lafforgue construit une décomposition canonique de l’espace vectoriel des formes «automorphes cuspidales» associées au groupe $G$, qui sont  des objets définis en terme de l’analyse harmonique sur le groupe adélique $G(A_K)$ associé à $G$. Cette décomposition est indexée par les représentations du «groupe de Galois absolu» ${\rm Gal}(\overline{K}/K)$ du corps $K$ à valeurs dans le groupe dual de Langlands de $G$ ; ces dernières encodent l’arithmétique sur le corps $K$ et ses extensions finies.

Cette paramétrisation globale est compatible avec des paramétrisations locales, données par l’isomorphisme de Satake en les places non ramifiées, et construites dans un travail commun  avec Alain Genestier en les places ramifiées. Cependant ces compatibilités ne déterminent pas complètement la décomposition globale, pour certains groupes autres que $GL_n$.

Comme les travaux classiques de Drinfeld et de Laurent Lafforgue, qui établissaient la correspondance de Langlands sur un corps global de caractéristique positive pour les groupes $GL_2$ et $GL_n$, les constructions de Vincent Lafforgue mettent en jeu la géométrie des « chtoucas de Drinfeld » et de leurs espaces de modules. Vincent Lafforgue utilise les espèces les plus générales possibles de chtoucas, avec un nombre arbitraire de « pattes », qui avaient déjà été considérées par Varshavsky, et les relations de compatibilités entre leurs espaces de modules. Il s’appuie pour cela sur l’équivalence de Satake géométrique due à Lusztig, Drinfeld, Ginzburg, et Mirkovic—Vilonen. Un aspect remarquable de l’approche de Vincent Lafforgue est qu’elle ne met en œuvre, comme outils d’analyse harmonique sur le groupe $G($A$_K)$, que les « résultats de base » de la théorie des formes automorphes : elle évite notamment le recours à la formule des traces d’Arthur-Selberg.

La paramétrisation locale fournit des « L-paquets » de représentations irréductibles du groupe réductif sur le corps local, et la décomposition globale fait apparaître des multiplicités. Un projet d’Alain Genestier et Vincent Lafforgue est d’étudier la structure interne de ces multiplicités.

Par ailleurs Vincent Lafforgue s’intéresse maintenant aux utilisations des mathématiques pour des questions utiles à l’écologie et aux énergies propres.

Contact

Vincent Lafforgue est directeur de recherche au CNRS. Il est membre de l’Institut Fourier (IF - CNRS & université Grenoble Alpes).