Décès de Mudumbai Seshachalu Narasimhan
Nous apprenons avec tristesse le décès de Mudumbai Seshachalu Narasimhan le 16 mai 2021. Il a été attaché de recherche au CNRS du 12 octobre 1957 au 28 juin 1960, sur la recommandation de Laurent Schwartz, qui a soutenu ensuite son renouvellement en 1958 et 1959. Nous reproduisons un texte de Sinnou David.
C’est avec une infinie tristesse que j’ai appris la disparition le 16 mai de M. S. Narasimhan, grande figure de l’école mathématique indienne, un des tous premiers élèves de Tata Institute of Fundamental Research, Bombay, avec C. S. Seshadri qui nous a quitté il y a moins d’un an.
Né en 1932, il a fait ses études au Loyola College à Madras au cœur de l'Inde Britannique (la Madras Présidency), il est dès le plus jeune âge exposé à la France : son professeur est un mathématicien Français, formé par E. Cartan, Jacques Hadamard, le père Racine. Ce dernier l'incite à rejoindre Tata Institute of Fundamental Research à Bombay, institution nouvellement créée à la suite de l'indépendance de l'Inde.
Au tout début de sa vie scientifique, Narasimhan fréquente les séminaires Cartan et Chevalley, où il côtoie Dieudonné, Grothendieck, Serre et se lie plus particulièrement avec L. Schwartz (il deviendra un intime de la famille), dont l’influence sera déterminante et inspirera ses premiers axes de recherche (son invitation en France est à l’initiative de L. Schwartz et H. Cartan).
Ses premiers travaux concernent les opérateurs elliptiques. Il montre en particulier (avec Kotake) qu’une fonction satisfaisant une condition de répulsivité naturelle sous l’action d’un opérateur elliptique est nécessairement analytique ou que les puissances complexes d’un opérateur elliptique ayant une réalisation auto-adjointe positive définissent un noyau régulier (pour les puissances entières, cela découle des travaux de L. Schwartz).
Il se tourne ensuite vers la géométrie des courbes et une bonne partie de ses travaux suivants sont centrés sur la mise au point d'une théorie satisfaisante des espaces de modules de fibrés vectoriels sur une courbe projective pour laquelle il est considéré comme un pionnier. Une des étapes marquante dans cette direction est son travail avec C. S. Seshadri sur la classification des fibrés stables de courbes. Sa construction de l'espace de modules a inspiré toute une série de construction d'espaces de modules. Cet axe de recherche qui est resté cher à Narasimhan a fait l’objet de collaborations fructueuses subséquentes avec Drezet et Beauville (par exemple construction d’un fibré vectoriel générique sur une courbe à partir de séries linéaires thêta), avec Ramadas (factorisation de fonctions thêta généralisées) ou avec Hirschowitz (fibrés de Hooft). Avec S. Ramanan, il montrer l’existence de connections universelles.
Avec Okomoto, il a montré un analogue du théorème de Borel-Weil-Bott permettant de donner des réalisations explicites pour presque toutes les séries discrètes pour un groupe de Lie semi-simple de centre fini dont le quotient par le compact maximal possède une structure d’espace hermitien symétrique.
Dans un travail remarqué avec Harder, Narasimhan étudie les groupes de cohomologie d’espaces de modules de fibrés vectoriels sur des courbes, pour calculer leurs nombres de Betti. Pour parvenir à maîtriser ces données très délicates, outre la preuve à l’époque récente des conjectures de Weil par Deligne, Narasimhan et Harder introduisent une filtration (dite de Harder-Narasimhan) par des drapeaux de sous-fibrés vectoriels, si le principe de telles constructions n’était nouveau, la mise en évidence de l’importance des sous-fibrés stables a été ensuite reprise avec succès en géométrie d’Arakelov (Bost) et est maintenant devenue standard dans de très nombreuses constructions de géométrie diophantienne moderne. Dans une longue collaboration fructueuse avec Ramanan il tire de ces idées des caractérisations de variétés de Prym comme points fixes ou encore la solution d’un problème vieux d’un siècle (la variété de Kummer d’une courbe de genre 3 est l’intersection de 8 cubiques dans le projectif de dimension 7).
Sous l’impulsion de K. Chandrasekharan alors à la tête du département de mathématiques du Tata, les « cours au Tata » sont lancés. L. Schwartz sera l’un des premiers visiteurs en 1955 (variétés analytiques complexes, notes rédigées par M. S. Narasimhan), et incitera de très nombreux collègues français (J. L. Lions, B. Malgrange, F. Bruhat, J. L. Koszul,…) à y séjourner plusieurs mois dans les années 50-60. Le dynamisme de la génération de jeunes chercheurs à Bombay dont M. S. Narasimhan était l’un des éléments moteurs fera des cours au Tata le succès que l’on sait. Parmi les autres visiteurs, on peut citer C. L. Siegel, H. Maass, M. Eichler, et bien entendu D. Mumford (dont le livre Abelian Varieties ou encore Tata Lectures on Theta).
M. S. Narasimhan était un visiteur régulier de nos universités (il a collaboré entre autres avec Beauville, Drézet, Hirschowitz), la première fois que je l’ai rencontré, il était professeur invité à l’Université Pierre et Marie Curie où j’étais doctorant.
Il a été aussi un animateur scientifique hors pair, tout d’abord dans son institution, le Tata Insitute à Bombay qu’il a largement contribué à installer comme une institution d’excellence, mais aussi à l’ICTP à Trieste dont il a dirigé le département de mathématiques pendant 7 ans, sa très vaste culture mathématique faisait de lui un interlocuteur recherché, bien au delà de la géométrie. Ses très nombreux élèves dont N. Nitsure, R. Parthasarathy, V.K. Patodi, M.S. Raghunathan , T.R. Ramadas, S. Ramanan, R. Simha, témoignent de l’influence qu’il a eu sur l’école de géométrie indienne pendant plus d’un demi-siècle.
M. S. Narasimhan a été également très impliqué dans le développement de la recherche mathématiques dans les pays du Sud. Très vite après sa création, il rejoint le conseil d’administration du CIMPA et son conseil scientifique en 1979, institution dont il rejoindra à nouveau les instances dans les années 90 en sa capacité de directeur du département de mathématiques de l’ICTP. A l’occasion du congrès international de Varsovie de 1982, il a été, fait rare, proposé par la délégation française et a dirigé le Comité du Développement et des Échanges de l’UMI.
Récipiendaire de nombreuses distinctions scientifiques et civiles indiennes (Padma Bushan, Shanti Swarup Bhatnagar, académicien) internationales (King Faisal, TWAS) il était également fellow of the royal society.