Interview de Mathieu Lewin, conférencier invité à l'ICM2022
Interview de Mathieu Lewin, directeur de recherche au CNRS affecté au CEREMADE (CNRS & Université Paris-Dauphine), conférencier invité dans la section 10, Equations aux dérivées partielles.
Quel est votre domaine de recherche ?
Je travaille en physique mathématique, avec des outils principalement issus de la théorie des équations aux dérivées partielles (EDP).
Peut-être dois-je d'abord dire deux mots sur la "physique mathématique", qui n'est pas réellement un domaine scientifique, mais plutôt une attitude. Dans cette discipline, on cherche à comprendre des phénomènes physiques avec des outils mathématiques, qu'il faut parfois inventer. Plus que de "démontrer rigoureusement ce que les physiciens savent déjà", on tente au contraire de fournir un nouvel éclairage voire une explication mathématique à une situation physique donnée. Nos travaux viennent donc en complément de ceux des physiciens, et ils requièrent une bonne connaissance de leurs travaux et questionnements. Cette attitude peut d'ailleurs s'étendre de façon similaire à d'autres disciplines comme la biologie ou les sciences sociales. En tous cas, il faut retenir que tous les domaines des mathématiques peuvent jouer un rôle en physique mathématique, de la théorie des nombres aux statistiques.
Mes applications de prédilection sont la physique quantique et la mécanique statistique. Dans mes travaux, je donne parfois la priorité à la question physique initiale, par rapport aux outils mathématiques qu'il faudra utiliser pour la résoudre. Ainsi, même si je suis principalement analyste de formation, il m'arrive d'utiliser des techniques différentes, par exemple issues de la théorie des probabilités. Inversement, l'étude de problèmes physiques peut ensuite générer de nouvelles questions mathématiques.
Qu’aimez-vous dans le métier de mathématicien ?
J'aime beaucoup interagir avec mes collègues mathématiciens ou physiciens. On présente parfois les mathématiciens comme des hurluberlus réfléchissant seuls à des problèmes abstraits (et surtout incompréhensibles). En réalité, la recherche se fait principalement à plusieurs et repose fortement sur les interactions sociales entre chercheurs.
Je lis aussi beaucoup d'articles d'autres domaines (principalement en physique et chimie, mais pas seulement). J'y cherche l'inspiration et le rôle que les mathématiques pourraient jouer pour expliquer certains des phénomènes rencontrés. On peut tout à fait aimer les mathématiques pour leur existence propre, déconnectée du reste de la science. Je préfère les mathématiques en interaction avec les autres disciplines et la société.
Qu’est-ce qu’un résultat « profond » pour vous ? Une démonstration « élégante » ?
J'aime les théorèmes étonnants, où des conclusions assez fortes semblent émerger de très peu d'hypothèses initiales. Et c'est encore mieux si la démonstration est simple, au moins dans ses grandes lignes ! Mais, bien sûr, la "simplicité" est toute relative, et dépend grandement des connaissances préalables du lecteur.
Savez-vous déjà de quoi vous allez parler à l'ICM ?
Je vais parler de divers résultats obtenus ces dix dernières années avec Phan Thành Nam (Munich, Allemagne) et Nicolas Rougerie (Lyon), sur les gaz de bosons quantiques. Nous avons développé une nouvelle théorie mathématique pour expliquer le comportement assez exotique de ces systèmes à faible température, appelé "condensation de Bose-Einstein". Essentiellement, quand on passe en dessous d'une certaine température, les particules d'un tel gaz se mettent à toutes se comporter de la même manière, formant donc une sorte d'objet quantique macroscopique.
Nous avons découvert que ce comportement peut bien s'expliquer à l'aide d'une version non-commutative d'un théorème très célèbre en probabilités et statistiques, dû à Bruno de Finetti et datant des années 1930. La version quantique de ce théorème existait depuis les années 1970 et elle joue de nos jours un rôle central en théorie de l'information quantique. Mais elle n'avait jamais été mariée à des techniques issues de la théorie des EDP pour expliquer le comportement de grands systèmes bosoniques concrets. Il nous est aussi apparu que cette théorie essentiellement probabiliste est en fait reliée à l'analyse semi-classique. Nous avons alors pu bénéficier d'avancées importantes réalisées sur ce sujet autour de 2010 par nos collègues français Zied Ammari et Francis Nier. En mêlant tous ces éléments, nous avons pu obtenir de nouveaux résultats sur les gaz de bosons quantiques, qui avaient échappé à nos prédécesseurs.
Contact
Mathieu Lewin est directeur de recherche CNRS affecté au Centre de recherche en mathématiques de la décision (UMR7534, CNRS & Université Paris-Dauphine).