La communauté mathématique française représentée au 9ème Congrès européen de mathématiques (ECM 2024)
Cet été a lieu le 9ème Congrès européen de mathématiques (ECM 2024), il se déroulera du 15 au 19 juillet 2024 à Séville avec une riche programmation. Découvrez les interviews de l'intervenante et des intervenants de la communauté mathématique française.
David Hernandez, orateur invité
- Professeur à l’Université Paris Cité depuis 2010
- Lauréat : Grand Prix Jacques Herbrand de l’Académie des sciences (2013), Institut Universitaire de France (2015), ERC Consolidator Grant (2015), France-Berkeley Fund Award (2020, conjointement avec E. Frenkel)
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● Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Professeur à l’Université Paris Cité depuis 2010, j’effectue mes recherches au sein de l’équipe « Groupes, représentations et géométrie » de l’Institut de Mathématiques de Jussieu-Paris Rive Gauche. J’ai auparavant été chargé de recherche au CNRS de 2005 à 2010.
● Quel est votre domaine de recherche ?
Mon domaine de recherche est la théorie des représentations, notamment des algèbres de Lie de dimension infinie et des groupes quantiques, en lien avec des problématiques de nature géométrique, combinatoire ou issues de la physique mathématique.
● Qu’est-ce qui vous a amené à faire des mathématiques ? Y’a-t-il eu des rencontres décisives dans votre carrière, ou bien des résultats qui ont profondément marqué votre relation aux mathématiques ?
J’ai toujours aimé les sciences, et en particulier les mathématiques. Mais ce n’est qu’à l’Ecole Normale Supérieure que j’ai découvert qu’il était possible de devenir mathématicien professionnel. J’ai hésité longtemps avec la physique, que j’ai étudiée jusqu’en maîtrise. J’ai donc été heureux de découvrir un domaine des mathématiques fondamentales, de nature algébrique et géométrique, en prise avec des questions de physique théorique. Outre Marc Rosso, qui a dirigé ma thèse, d’autres grands experts du domaine ont joué un rôle déterminant dans mon parcours. Certains sont ensuite devenus des collaborateurs. Je ne citerai que quelques-uns d’entre eux : Vyjayanthi Chari, Corrado De Concini, Edward Frenkel, Michio Jimbo, Bernard Leclerc, Hiraku Nakajima, Nicolai Reshetikhin et Olivier Schiffmann. Plus récemment, les collaborations avec Hironori Oya et Ryo Fujita, que j’ai eu la chance d’avoir dans mon équipe comme postdoctorants, ont permis de résoudre des questions sur lesquelles je buttais depuis longtemps.
Certains articles ont aussi été marquants. Par exemple, dans une publication de 1998, Edward Frenkel et Nicolai Reshetikhin ont mis en évidence les liens profonds de certaines catégories de représentations de groupes quantiques avec de très nombreux domaines (systèmes intégrables, programmes de Langlands, W-algèbres…). J’ai lu et étudié cet article de nombreuses fois et je continue pourtant, année après année, à en découvrir les subtilités. L’un de mes principaux résultats, obtenu en 2015, est d’ailleurs la démonstration de l’une des conjectures qui y sont énoncées.
● Qu’aimez-vous dans le métier de mathématicien ? Comment le décririez-vous à quelqu’un d’extérieur à la recherche ?
J’aime de très nombreux aspects du métier de mathématicien, d’abord le fait d’être en contact avec la matière brute, les mathématiques elles-mêmes, et de pouvoir explorer des chemins nouveaux que personne n’avait empruntés. Ce qui me plaît aussi c’est de voir des résultats généraux se dégager progressivement et de mettre en perspective des exemples manipulés à la main. Le contact avec les étudiants, en thèse ou plus jeune est également un des plaisirs de ce métier, tout comme le travail en collaboration avec des collègues français et étrangers, qui procure la grande joie de trouver ensemble. Comprendre comment on pense les mathématiques d’un pays à l’autre est aussi un des aspects très enrichissants de ces échanges.
● Savez-vous déjà de quoi vous allez parler à l’ECM en juillet ? Qu’est-ce que ce congrès représente pour vous ?
Je n’ai pas encore choisi le sujet de mon exposé, mais je vais essayer de mettre en évidence la variété des thèmes avec lesquels les catégories qui m’intéressent interagissent. L’ECM est un congrès prestigieux qui donne une belle opportunité de réunir des mathématiciennes et mathématiciens travaillant dans des thématiques variées ; c’est aussi une occasion d’affirmer l’importance de l’échelle européenne pour la communauté des mathématiciennes et mathématiciens.
● Y’a-t-il un message que vous voudriez faire passer ?
Ne vous laissez pas inutilement impressionner ou intimider, si vous aimez les mathématiques, allez-y !
Dorin Bucur, orateur invité
- Professeur à l’Université Savoie Mont Blanc, membre senior honoraire de l’Institut Universitaire de France, ancien chargé de recherche CNRS
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● Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Après une maitrise à Timisoara en Roumanie, j’ai fait un DEA à Nice, suivi d’une thèse à l’Ecole des Mines de Paris. En 1995 j’ai été recruté comme chargé de recherche au CNRS à Besançon et depuis 2002 je suis professeur, d’abord à Metz, et maintenant à l’Université Savoie Mont Blanc. En 2014 je suis devenu, pour 5 ans, membre senior de l’Institut Universitaire de France.
● Quel est votre domaine de recherche ?
Je travaille sur des questions mathématiques à l’interface entre la théorie et les applications, que les ingénieurs pourraient appeler « optimisation de formes ». Dans un langage plus précis, ce sont des questions d’analyse autour des problèmes à frontière ou discontinuité libre. Cela fait partie du domaine large des applications du calcul des variations dans l’étude des questions (souvent) issues de la physique, dont la modélisation mêle la géométrie aux équations aux dérivées partielles. J’attache une attention particulière aux problèmes liés à la géométrie spectrale.
● Qu’est-ce qui vous a amené à faire des mathématiques ? Y’a-t-il eu des rencontres décisives dans votre carrière, ou bien des résultats qui ont profondément marqué votre relation aux mathématiques ?
Le hasard. Suivant une tradition familiale, j’étais destiné à faire médecine, mais un ami de famille, professeur de mathématiques, m’a poussé à participer aux olympiades des mathématiques. Et ça m’a plu…
● Qu’aimez-vous dans le métier de mathématicien ? Comment le décririez-vous à quelqu’un d’extérieur à la recherche ?
Le travail de recherche en mathématiques, même si on ne le dit pas, c’est souvent une compétition. C’est à peu près la seule discipline où il n’y a aucune ambiguïté sur les résultats et la subjectivité dans leur interprétation est quasi-absente. Si on démontre un résultat, qu’on soit à Harvard ou à Chambéry, ça vaut la même chose. Côté enseignement, j’aime bien imaginer que chaque cours est un spectacle devant un public qui, à la fin, doit être heureux. C’est difficile et en même temps, quand ça marche, c’est réjouissant.
● Savez-vous déjà de quoi vous allez parler à l’ECM en juillet ? Qu’est-ce que ce congrès représente pour vous ?
Je n’ai pas encore préparé ma présentation, mais ce sera sans doute autour de mes travaux sur les formes optimales en géométrie spectrale. J’attacherai une attention particulière à ce que mon intervention ne soit pas trop spécialisée et qu’elle soit accessible à une audience plus large.
Je suis, bien sûr, très honoré d’avoir été invité. Pourtant, j’ai une approche peu sentimentale et plutôt technique quant à ma participation.
● Y’a-t-il un message que vous voudriez faire passer ?
Chaque fois que l’occasion se présente, typiquement lors de la « Semaine des mathématiques », je fais avec grand plaisir des interventions dans les lycées pour promouvoir les mathématiques. Dans le monde d’aujourd’hui les mathématiques prennent une place centrale. En même temps, le désintérêt des jeunes pour les mathématiques est de plus en plus marquant. Par conséquent, je m’adresserais plutôt à mes collègues mathématiciens : n’hésitez pas à donner de votre temps, aller dans les lycées et collèges et promouvoir auprès des jeunes notre belle discipline et ses applications dans la vie de tous les jours.
Steve Oudot, orateur invité
- Directeur de recherche Inria, membre du LIX (CNRS / École polytechnique)
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● Bonjour, quel est votre domaine de recherche ?
Mon domaine de recherche principal est l’analyse topologique de données, que l’on surnomme communément TDA pour Topological Data Analysis. C’est un domaine à cheval entre les mathématiques et l’informatique dont l’objectif est de fournir des méthodes fondées sur des invariants topologiques pour la fouille de données et l’apprentissage automatique. Ce qui distingue cette approche en analyse de données est qu’elle s’appuie sur des garanties théoriques d’invariance, de stabilité et (dans une certaine mesure) d’interprétabilité, et peut s’intégrer aux modèles d’apprentissage existants, qu’ils soient statistiques ou à base de réseaux de neurones, pour les enrichir. Pour cela la TDA utilise et adapte un large éventail d’outils mathématiques issus de domaines aussi divers que l’algèbre ou les statistiques, en passant par la topologie et la géométrie, l’analyse non-lisse, l’optimisation, ou encore le transport optimal.
● Qu’est-ce qui vous a amené à faire des mathématiques ? Y’a-t-il eu des rencontres décisives dans votre carrière, ou bien des résultats qui ont profondément marqué votre relation aux mathématiques ?
Disons que je suis arrivé aux mathématiques que je pratique aujourd’hui par le chemin des écoliers, et que mon parcours est intimement lié à l’évolution de mon domaine.
Je suis informaticien de formation, avec une thèse en géométrie algorithmique. C’est lors de mon postdoc, vers le milieu des années 2000, que j’ai rencontré le petit groupe d’enthousiastes qui s’intéressait au sujet alors naissant de la TDA, mené par Gunnar Carlsson (Stanford) et Herbert Edelsbrunner (Duke). L’enthousiasme étant contagieux, je les ai rejoints, ainsi que beaucoup d’autres chercheurs aux profils très divers depuis, et ensemble durant ces vingt dernières années nous avons développé les fondements mathématiques et algorithmiques de la TDA.
On ne peut rendre justice à tous ceux qui ont contribué à cet effort collectif, mais dans mon entourage direct je peux du moins mentionner Frédéric Chazal, avec qui j’ai eu une collaboration très fructueuse pendant plusieurs années sur certains des concepts et résultats clés du domaine. J’aimerais également souligner l’apport essentiel de la jeune génération aux développements les plus récents en TDA, notamment sur les aspects algébriques.
Il y a par ailleurs une série de rencontres de notre communauté avec des experts d’autres domaines qui ont fortement influencé le sujet et ont permis de l’ouvrir vers l’extérieur, entre autres vers la théorie des représentations d’algèbres avec William Crawley-Boevey (Bielefeld) et Steffen Oppermann (NTNU), la théorie des faisceaux avec Pierre Schapira (IMJ) et François Petit (alors à l’Université du Luxembourg), le transport optimal avec Marco Cuturi (alors à l’ENSAE), les statistiques et l’inférence géométrique avec Pascal Massart (LMO) et Larry Wasserman (Carnegie Mellon). En parallèle, la TDA a su produire un certain nombre de notions et de résultats qui lui sont propres, comme par exemple le concept d’entrelacement qui permet de définir des métriques entre objets de nature algébrique, notions qui ont essaimé dans d’autres communautés en apportant un point de vue nouveau sur certaines des questions qui s’y posent.
● Qu’aimez-vous dans le métier de mathématicien ? Comment le décririez-vous à quelqu’un d’extérieur à la recherche ?
Ce qui me plaît le plus, c’est de pouvoir relier entre eux des concepts ou résultats issus de domaines différents, et la TDA est très propice à cela. Par exemple, les objets qu’elle regarde principalement au niveau algébrique, appelés modules de persistance, peuvent être vus de diverses manières : comme des modules sur des algèbres, comme des foncteurs, comme des représentations de carquois, ou encore comme des faisceaux. Chaque point de vue est lié à un domaine particulier et donne accès à une boite à outils spécifique. Par exemple, voir les modules de persistance comme des faisceaux permet, sous certaines conditions, d’utiliser le formalisme des six opérations de Grothendieck pour les manipuler. En contrepartie, plonger des faisceaux dans les modules de persistance, lorsque c’est possible, permet de bénéficier d’outils de calcul optimisés pour obtenir efficacement des décompositions ou des résolutions. Ainsi s’établissent des interactions fructueuses entre des domaines à priori différents et qui bénéficient à tous.
● Savez-vous déjà de quoi vous allez parler à l’ECM en juillet ? Qu’est-ce que ce congrès représente pour vous ?
Le fait que le comité scientifique ait choisi d’inclure un exposé sur la TDA à l’ECM est, je pense, une belle reconnaissance pour le domaine. En tant que sujet transverse, la TDA a mis du temps à trouver sa place dans le paysage des mathématiques, mais aujourd’hui nous avons une idée assez précise de ce qu’elle emprunte à d’autres sujets et de ce qu’elle peut leur apporter en retour. Un exemple remarquable de cela est un résultat récent de Lev Buhovski et collaborateurs (https://arxiv.org/abs/2206.06347), qui combine la théorie des modules de persistance avec des outils d’analyse pour généraliser le théorème de Courant sur le décompte des domaines nodaux de fonctions propres de l’opérateur laplacien. C’est un résultat à la fois surprenant, non-trivial, et dont la preuve a mené aussi bien à des développements intéressants pour la TDA elle-même. Je le mentionne car Lev Buhovski est également orateur invité a l’ECM cette année et j’ai bon espoir qu’il en parle à cette occasion.
Pour ma part, j’aimerais mettre en relief le côté transverse de la TDA dans mon exposé. Pour cela j’envisage de parler de développements récents autour de la définition d’une nouvelle classe d’invariants pour les modules de persistance, appelés invariants homologiques, qui repose sur des approximations au sens de l’algèbre homologique relative. J’espère montrer comment, à l’aide de tels invariants, on peut poser une structure d’espace difféologique sur des catégories de modules de persistance pour faire du calcul différentiel et de l’optimisation, avec des résultats applicatifs intéressants en apprentissage automatique.
Yilin Wang, oratrice invitée
- Professeure junior à l’IHES
- Lauréate : Prix New Frontiers Maryam Mirzakhani (2022)
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● Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis mathématicienne à l’Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES). J'ai grandi en Chine et je suis venue en France à l'âge de 18 ans pour intégrer une classe préparatoire à Lyon. J'ai étudié à l'ENS Paris et obtenu mon doctorat à l'ETH de Zurich en 2019. J'ai ensuite travaillé en tant que postdoctorante au MIT et au MSRI à Berkeley avant de revenir en France. Je me considère comme une citoyenne du monde, une personne multiculturelle constamment ouverte à de nouvelles aventures.
● Quel est votre domaine de recherche ?
Mes recherches se situent à l'interface des probabilités, de l'analyse complexe et de la géométrie.
● Qu’est-ce qui vous a amené à faire des mathématiques ? Y’a-t-il eu des rencontres décisives dans votre carrière, ou bien des résultats qui ont profondément marqué votre relation aux mathématiques ?
J'étais curieuse au sujet de nombreuses disciplines, mais seules les mathématiques m'ont donné une réponse satisfaisante, tant intellectuellement qu’esthétiquement. Les mathématiques visent à comprendre les principes fondamentaux. C'est souvent un luxe de pouvoir réfléchir autant de temps que nécessaire à des principes fondamentaux et de remettre continuellement en question ses travaux de recherche. Il s’agit de la manière de penser que j’apprécie le plus. J'ai donc poursuivi mon parcours professionnel dans la recherche en mathématiques et depuis j'ai ressenti très peu de résistance. Malheureusement, je n'ai pas de modèle auquel je m’identifie, mais j'ai senti dès mon plus jeune âge que les mathématiques faisaient partie de ma nature. C'est pourquoi, quand j’ai appris que les mathématiques pouvaient constituer une carrière, j'ai été heureuse de tenter l'expérience.
● Qu’aimez-vous dans le métier de mathématicienne ? Comment le décririez-vous à quelqu’un d’extérieur à la recherche ?
J'apprécie la liberté de cultiver notre curiosité sans restriction, l’incitation à se remettre en question, l'euphorie au moment d'obtenir un peu plus de clarté, et la communauté de personnes partageant les mêmes idées avec lesquelles nous pouvons partager cette pure stimulation. J'apprécie également faire partie de la communauté internationale, voyager à travers le monde et découvrir constamment de nouvelles idées et de nouvelles cultures.
● Savez-vous déjà de quoi vous allez parler à l’ECM en juillet ? Qu’est-ce que ce congrès représente pour vous ?
Je ne me suis pas encore décidée. C'est un honneur d'être invitée à l'ECM. C'est l'occasion de présenter à un public mathématique plus large un sujet qui me passionne.
● Y’a-t-il un message que vous voudriez faire passer ?
Écoutez votre cœur et ne laissez personne vous dire ce que vous pouvez ou ne pouvez pas faire. Ne vous jugez pas trop vite. Les qualités d’une excellente mathématicienne ou d'un excellent mathématicien peuvent être plus diverses et plus complexes qu’imaginées. Ceux qui arrivent le plus loin ne sont pas nécessairement les plus rapides ou les plus intelligents, mais ceux qui aiment vraiment la discipline et qui ont persévéré.
Maxim Kontsevich, orateur conférence plénière
- Titulaire de la chaire AXA-IHES de mathématiques, Professeur permanent à l'IHES depuis 1995, membre de l’Académie des sciences
- Lauréat : médaille Fields (1998), prix Crafoord (2008), prix Shaw (2012), prix Breakthrough en physique fondamentale (2012), prix Breakthrough en mathématiques (2014)
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● Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis mathématicien et je travaille à l'IHES, un institut de recherche avancée en mathématiques, physique théorique et toute science qui s'y rattache, à Bures-sur-Yvette, au sud de Paris.
● Quel est votre domaine de recherche ?
D'une manière générale, je m'intéresse à la physique mathématique et à la géométrie algébrique. Je puise souvent mon inspiration mathématique de théories physiques telles que la théorie des cordes ou la théorie quantique des champs. Dernièrement, j'ai travaillé sur des aspects de la géométrie birationnelle, de la théorie de la résurgence, de l'homologie de Floer et de la théorie de Chern-Simons.
● Qu’est-ce qui vous a amené à faire des mathématiques ? Y’a-t-il eu des rencontres décisives dans votre carrière, ou bien des résultats qui ont profondément marqué votre relation aux mathématiques ?
J'ai été initié aux mathématiques par mon frère aîné qui a commencé à me proposer des énigmes mathématiques vers l'âge de 10 ans. J'aimais aussi beaucoup les livres de mathématiques populaires tels que ceux de Martin Gardner. J'ai suivi des cours de mathématiques avancées dès le lycée et j'ai participé aux Olympiades russes de mathématiques. J’ai rencontré Israel Gelfand lors de ma dernière année au lycée. À l'université, j'ai participé à son séminaire qui m'a beaucoup influencé. Ni le programme ni l'heure de fin n'étaient fixés à l'avance pour les conférences, et Israel Gelfand se sentait libre d'interrompre l'orateur à tout moment pour lui demander d'expliquer certains points plus en détail. En scrutant la salle pour vérifier que tout le monde suivait, il improvisait fréquemment et se lançait dans des digressions imprévisibles. Après le séminaire, les étudiants plus âgés, comme Alexander Goncharov, restaient pour réexpliquer le séminaire aux plus jeunes. Alexander Goncharov est aujourd'hui un de mes amis. Il a également eu une grande influence sur moi.
● Qu’aimez-vous dans le métier de mathématicien ? Comment le décririez-vous à quelqu’un d’extérieur à la recherche ?
J'apprécie beaucoup la liberté que j'ai dans ma recherche. C'est particulièrement vrai à l'IHES, l'institut dans lequel je travaille depuis 1995, où je suis libéré de toutes les tâches administratives et où je n’ai pas d’obligation d'enseignement. J'aime aussi beaucoup collaborer avec mes collègues et mes étudiants. Les gens pensent souvent que les mathématiques sont une activité solitaire, mais c'est loin d'être le cas. La plupart de mes articles sont rédigés avec au moins un ou une autre de mes collègues.
● Savez-vous déjà de quoi vous allez parler à l’ECM en juillet ? Qu’est-ce que ce congrès représente pour vous ?
Je parlerai de la correspondance de Riemann-Hilbert généralisée, de “wall-crossing” et de la résurgence. Le congrès est une bonne occasion de découvrir les travaux d'autres collègues, de les rencontrer et de discuter de leurs résultats.
● Y’a-t-il un message que vous voudriez faire passer ?
Mon conseil aux jeunes mathématiciennes et mathématiciens : ne vous concentrez pas exclusivement sur un seul problème. Si vous êtes bloqués, essayez de travailler sur un autre problème, et revenez au problème initial plus tard. Travailler sur des problèmes différents peut vous aider à trouver des analogies ou des points de vue différents, et à trouver des solutions inattendues.
Étienne Ghys, orateur conférence Hirzebruch
- Directeur de recherche émérite au CNRS, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences depuis 2019
- Lauréat : médaille de la médiation scientifique du CNRS (2022), médaille d’argent du CNRS (1991), prix d’Alembert de la Société mathématique de France avec Aurélien Alvarez et Jos Leys pour le film « Dimensions » et le site web associé (2010), prix du livre audio France Culture / Lire dans le noir pour l’ouvrage audio « La théorie du chaos » (2011), Clay award for dissemination of mathematical knowledge (2015)
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Crédits
© Dorin Bucur / Dorin Bucur | © David Hernandez / Bergman, George M., Berkeley | © Steve Oudot / Inria | © Yilin Wang / Han Yan | © Maxim Kontsevich / IHES | © Étienne Ghys / Cyril FRÉSILLON / CNRS Images