De nouvelles perspectives en contrôle

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Dans un travail récent, Karine Beauchard, prix Michel Montpetit de l’Académie des Sciences en 2017 et son collaborateur Frédéric Marbach, introduisent une nouvelle notion de contrôlabilité permettant de dépasser certaines limites des méthodes antérieures.

On sait depuis les années 1970 que, pour caractériser la contrôlabilité d'un système, on doit considérer les crochets de Lie itérés des champs de vecteurs définissant la dynamique. Mais la classification des bons crochets (correspondant à des directions contrôlables) et des mauvais crochets (conduisant à des obstructions) n'est pas connue à ce jour.

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Sophus Lie © MFO

Dans l'article [1], Karine Beauchard et Frédéric Marbach introduisent une nouvelle notion de contrôlabilité, qui permet d'aller plus loin dans la classification, en donnant une description exhaustive des comportements à l'ordre quadratique. Cette approche repose sur un double point de vue géométrique (crochets de Lie) et analytique (norme fonctionnelle mesurant les contrôles) et ouvre de nouvelles perspectives.

Notons $x(t)\in {\bf R}^n$ l'état du système à l'instant $t \in[0,T]$ et supposons son évolution décrite par une équation différentielle de la forme $$\dot x  = f_0(x) + uf_1(x)\;\;\;\;\;\; (1)$$  où $f_0,f_1\in C^1(R^n,R^n)$, $f_0(0) = 0$ et $u:[0,T]\rightarrow{\bf R}$ est un contrôle.
Le système (1) est dit localement contrôlable en temps petit lorsque, pour tout temps imparti $T > 0$, pour toute taille maximale du contrôle $\eta > 0$, il existe un voisinage de l'origine de taille $\delta >0$ tel que, pour toute cible $x_*$ avec $|x_*| < \delta $, il existe un contrôle $u \in ^\infty((0,T),{\bf R})$ de norme plus petite que $\eta$ ($\| u\|_{L^\infty}(0,T) < \eta$),  tel que la solution de (1) associée à ce contrôle et à la donnée initiale $x(0) = 0$ vérife $x(T) = x_*$. Il s'agit de la surjectivité locale en 0 de l'application entrée-sortie $u\mapsto x(T )$.

Si le système linéarisé est contrôlable, alors le théorème d'inversion locale montre que le système nonlinéaire (1) est localement contrôlable. Sinon, pour récupérer les directions manquantes, on doit utiliser des termes d'ordre supérieur dans le développement de Taylor de l'application entrée-sortie.
La contribution du terme quadratique, le long d'une direction perdue, peut-être une forme quadratique signée, par exemple
$$ \dot x_1 = u,\;\;\dot x _ 2 = x_1^2$$
où $x_2$ ne peut que croître. Dans ce cas, l'état dérive le long de cette direction, dans un sens seulement. Ceci constitue une obstruction à la contrôlabilité, puisque le système ne peut pas évoluer dans l'autre sens. Cependant on ne disposait ni d'une compréhension fine des mécanismes en jeu, ni d'une étude systématique.

Pour la contrôlabilité locale en temps petit d'un système analytique (1), on connait
- une condition nécessaire [2] :
$$\cup_{k\in{\bf N}}{\mathcal S}_k ={\bf R}^n, \;\;\;\;(2)$$
-  des conditions suffisantes, par exemple [4] : (2) et
$$\forall k\in{\bf N}, \;\;{\mathcal S}_{2k+2 }= {\mathcal S}_{2k+1},\;\;\;\; (3)$$
où ${\mathcal S}_k$ est le sous-espace vectoriel de ${\bf }R^n$ engendré par l'évaluation en 0 des crochets de Lie itérés de $f_0$ et de $f_1$ contenant $f_1$ au plus $k$ fois. L'espace ${\mathcal S}_k$ est lié au $k$-ième terme du développement de Taylor de l'application entrée-sortie.
L'interprétation de (3) est que les crochets de type pair (en $f_1$) sont "mauvais" (car associés à une dérive) et doivent être compensés par de "bons" crochets de type impair (réalisant trivialement les deux signes). Néanmoins ${\mathcal S}_2 ={\mathcal  S}_1$ n'est pas une condition nécessaire à la contrôlabilité locale en temps petit, au sens usuel, c'est-à-dire avec des contrôles petits dans $L^\infty$ (cf.[3, 4]).

Le résultat principal de [1] prend la forme d'une alternative quadratique :
- lorsque ${\mathcal S}_2$ n'est pas inclus dans ${\mathcal S}_1$, alors le système n'est pas localement contrôlable en temps petit,
avec des contrôles petits dans $W^{2d-3,\infty}$, où $d = {\rm dim}\,{\mathcal S}_1$,
- lorsque ${\mathcal S}_2 = {\mathcal S}_1$, les termes quadratiques n'augmentent pas la dimension de l'espace atteignable par rapport à l'ordre linéaire (variété de même dimension) ; dans ce cas, seuls les termes cubiques ou d'ordre supérieur peuvent permettre de récupérer la contrôlabilité locale en temps petit.

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Louis Nirenberg © MFO

L'idée clef est d'introduire une nouvelle notion de contrôlabilité locale, dans laquelle la taille des contrôles est mesurée par un espace fonctionnel adapté au système, qui peut ne pas être $L^\infty$. Dans le premier cas de l'alternative ci-dessus, la solution nonlinéaire dérive le long d'un "mauvais" crochet de Lie de ${\mathcal S}_2 \setminus{\mathcal S}_1$, explicite et de longueur $(2k + 1)$, où $1\leq k \leq d$ et l'amplitude de la dérive est quantifiée par la norme $H^{−k}$ du contrôle. Ceci vaut lorsque le contrôle est petit dans $W^{2k-3,\infty}$ : hypothèse optimale pour que la dérive $\| u\|^2_{H^{−k}(0,T)}$ domine le reste cubique $\|u\|^3_{W^{−1,3}(0,T)}$ grâce à l'inégalité de Gagliardo-Nirenberg.

Ainsi ${\mathcal S}_2 = {\mathcal S}_1$ est nécessaire pour qu'un système soit localement contrôlable en temps petit avec des contrôles réguliers. De ce point de vue, tous les crochets de ${\mathcal S}_2$ sont "mauvais".

Références

[1] Karine Beauchard and Frédéric Marbach. Quadratic obstructions to small-time local controllability for scalar-input diffeerential systems. J. Differential Equations, 2017.

[2] Robert Hermann. On the accessibility problem in control theory. In Internat. Sympos. Nonlinear Differential Equations and Nonlinear Mechanics, pages 325-332. Academic Press, New York, 1963.

[3] Matthias Kawski. High-order small-time local controllability. In Nonlinear controllability and optimal control, volume 133 of Monogr. Textbooks Pure Appl. Math., pages 431-467. Dekker, New York, 1990.

[4] Héctor Sussmann. Lie brackets and local controllability : a suffcient condition for scalar-input systems. SIAM J. Control Optim., 21(5) :686-713, 1983.

Contact

Karine Beauchard est professeur à l'École normale supérieure de Rennes. Elle est membre de l'institut de recherche mathématique de Rennes (IRMAR - CNRS, ENS Rennes, INSA Rennes, Université Haute Bretagne & Université Rennes 1).

Frédéric Marbach est chargé de recherches au CNRS. Il est membre de l'institut de recherche mathématique de Rennes (IRMAR - CNRS, ENS Rennes, INSA Rennes, Université Haute Bretagne & Université Rennes 1).