ICM2022 : Interview de Mikael de la Salle, conférencier invité

Quel est votre domaine de recherche ?

Mon domaine de recherche actuel est l'analyse fonctionnelle. Plus précisément, je m'intéresse à des questions entre les algèbres d'opérateurs, l'analyse harmonique, la géométrie des espaces de Banach. Très souvent, et de plus en plus, il y a des groupes qui tournent autour. Par exemple, je peux étudier les algèbres de von Neumann de groupes, ou bien les représentations de groupes sur des espaces de Banach. Il m'arrive aussi de travailler à des questions entièrement en théorie géométrique des groupes.

Qu’aimez-vous dans le métier de mathématicien ?

Beaucoup de choses. Mon arrivée dans ce métier doit beaucoup au hasard, à des choix et changements de direction pris à la dernière minute, mais je n'ai jamais regretté ces choix. Le métier de mathématicien est très excitant et très varié, jamais lassant. Explorer des mondes qui n'ont jamais été explorés, être le premier à faire une découverte, il y a côté fascinant à ça. J'ai l'impression que tout ceci s'applique plus généralement au métier de chercheur. Ce qui est spécifique au métier de mathématicien tel que je le perçois, c'est que cette exploration se fait entièrement dans l'esprit, avec très peu de contraintes matérielles. Les recherches d'un mathématicien ne dépendent donc pas de grosses machines ou de financement massifs. Cela permet notamment d'être très libre dans ses choix de recherche, et rend les changements thématiques très faciles. Cela apporte aussi une grande liberté et une grande souplesse dans l'organisation de son temps de travail. Et ça, c'est très appréciable pour la vie de famille. Une autre spécificité des mathématiques, c'est leur côté définitif et immuable : un théorème qui est prouvé restera vrai tout le temps, et ne sera pas remis en question. C'est un aspect que j'ai trouvé attirant et très rassurant au début de ma carrière, mais il me semble moins important maintenant.

Savez-vous déjà de quoi vous allez parler à l'ICM 2022 ?

Oui. Je vais parler d'analyse sur les groupes de Lie semi-simples et leurs réseaux arithmétiques, comme le groupe SL(n,R) des matrices réelles de déterminant 1 ou son sous-groupe SL(n,Z) des matrices à coefficients entiers. Je présenterai une idée simple mais fructueuse, qui trouve son origine dans des travaux de Vincent Lafforgue, et que j'ai contribué à développer avec plusieurs autres mathématiciens (notamment Uffe Haagerup, Tim de Laat et Benben Liao) depuis une dizaine d'années : pour appréhender des phénomènes complexes sur de tels gros groupes, on se restreint à des sous-groupes compacts (petits), où l'analyse est beaucoup plus facile. Cette idée a notamment été exploitée pour l'étude de certains types de représentations (propriété (T) renforcée et ses formes banachiques), et des propriétés d'approximations des algèbres de von Neumann. Cela a aussi été utilisé récemment en systèmes dynamiques, avec la résolution par Brown, Fisher et Hurtado de la conjecture de Zimmer sur les actions par difféomorphismes de réseaux arithmétiques sur des variétés compactes de petite dimension.

Qu’est-ce que ce congrès représente pour vous ?

C'est un grand honneur pour un mathématicien d'y présenter ses travaux. J'ai donc été très surpris quand j'ai reçu l'invitation. J'étais très curieux et assez excité : je n'avais jamais assisté à un congrès international des mathématiciens, et j'en avais l'image d'une grande célébration des mathématiques. Avec l'annulation du congrès physique et son passage en ligne, je suis curieux de voir comment ça se passera. Je serai sûrement très motivé pour assister au congrès suivant dans quatre ans...