ICM2022 : Interview de Romain Dujardin, orateur invité

Quel est votre domaine de recherche ?

J’étudie principalement la dynamique des transformations polynomiales et rationnelles à une et plusieurs variables complexes. Concrètement, il s’agit donc d’étudier le comportement asymptotique des suites récurrentes définies par une telle transformation. Un exemple bien connu est la méthode de Newton pour l’approximation des zéros des polynômes : son comportement peut être régulier ou chaotique en fonction du choix de la condition initiale. C’est un domaine qui a une longue histoire et qui s’est réinventé plusieurs fois, au fil de ses rencontres avec d’autres domaines des mathématiques. Lorsqu’il a été fondé par Fatou et Julia au début du 20^e siècle, c’était plutôt une branche de la “théorie des fonctions”. Depuis les années 1980 le sujet ne cesse de se renouveler par l’apport de méthodes toujours plus variées et sophistiquées en géométrie et en analyse. Ces derniers temps on assiste à l’essor de questionnements et de méthodes plus algébriques. Cette grande diversité d’outils, souvent au sein d’un même article, c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup.

Qu’est-ce qui vous a amené à faire des mathématiques ?

J’ai eu un professeur de mathématiques extraordinaire au collège, qui nous a transmis sa rigueur implacable et son goût pour les beaux raisonnements. Je n’avais bien entendu aucune conscience de l’existence de la recherche mathématique à cet âge, mais vue la proportion statistiquement invraisemblable de mes camarades de classe de l’époque qui se sont lancés dans cette carrière - dont mon ami d’enfance François Delarue, qui est aussi orateur invité au congrès - il faut croire que ça a été le facteur décisif !

Qu’aimez-vous dans le métier de mathématicien ?

Il y a peu de métiers où l’on est aussi libre de faire ce qui nous plaît. Il y a bien quelques tâches rébarbatives, mais dans l’ensemble, quel plaisir ! C’est un privilège immense d’être payé pour apprendre de nouvelles choses, y réfléchir, et les partager avec ses collègues du monde entier. À une époque ou beaucoup s’interrogent sur l’utilité de leur métier, chaque mathématicien(ne) participe à son échelle à une grande aventure qui le (ou la) dépasse.

Un autre aspect fascinant est la relation que j’ai nouée avec mes collaborateurs : il faut une grande confiance pour partager des idées vagues, des tentatives avortées et parfois des erreurs grossières. Et quand on a longtemps travaillé sur un projet, comme un vieux couple, on parle de choses qui ne sont - littéralement - comprises que de nous !

Quelle place donnez-vous à la diffusion des mathématiques dans votre activité ?

Je pense que la diffusion auprès du public, des élèves et des étudiants et étudiantes est primordiale. La communauté y consacre une belle énergie, mais c’est difficile de capter un peu d’attention ! J’y participe moi-même un peu en donnant de temps à autres une conférence “grand public”, et comme collaborateur de la revue “Images des Mathématiques” du CNRS, mais il faudrait certainement en faire plus…