Interview de Charles Collot
Interview de Charles Collot, nouvellement recruté comme chargé de recherche au CNRS. Il est membre du Laboratoire Analyse, Géométrie, Modélisation (AGM - CNRS & Université Cergy-Pontoise).
Quel est ton domaine de recherche ?
J’étudie des équations aux dérivées partielles. Elles apparaissent fréquemment lorsque l’on modélise un phénomène dans lequel une quantité dépend de plusieurs paramètres continus. Par exemple, une équation sur laquelle je travaille étudie l’évolution de la densité de bactéries dans un milieu, qui dépend du temps et de la position dans l’espace. Une de mes thématiques de recherche est de montrer que ces équations, qui sont théoriques, présentent des phénomènes qui sont (ou non !) en accord avec ceux que l’on observe dans le monde physique. Récemment, j’ai montré que pour cette équation sur les bactéries, parfois elles vont se regrouper en un gros paquet en un seul point de l’espace, et que cela reste vrai même si on perturbe un peu le système. J’ai aussi prouvé que pour une équation modélisant l’écoulement d’un liquide près d’une paroi, la couche de fluide qui y adhère peut devenir instable et être éjectée loin d’elle. Ce qui est remarquable, c’est l’unité derrière certains problèmes en apparence différents. Ainsi, au cœur de ces deux problèmes différents, on trouve un phénomène de concentration, et qui peut être analysé avec des concepts mathématiques similaires. Plus généralement, j’étudie comment, dans des cadres particuliers pour certains paramètres, dits asymptotiques, les solutions de certaines équations se comportent et je tente de déceler des propriétés qui apparaîtraient inévitablement et seraient donc universelles.
Qu’as-tu fait avant d’entrer au CNRS ?
Après le baccalauréat, j’ai intégré une classe préparatoire maths et physique pensant devenir ingénieur. Puis, j’ai eu le choix de devenir ingénieur comme prévu, ou de faire des études scientifiques théoriques à l’ENS. Je me suis dit que j’aimais faire des maths, et aussi que l’enjeu scientifique principal à ce moment-là était la compréhension du fonctionnement du cerveau humain, donc je me suis orienté vers la modélisation mathématique du cerveau là-bas. Mais mon penchant naturel pour l’abstraction l’a emporté, et j’ai fait une thèse à Nice sur l’étude théorique d’équations, abandonnant pour un temps les applications pratiques. J’ai ensuite fait un post-doctorat à New York University, sur les campus aux États Unis et aux Émirats Arabes Unis, avant d’intégrer le CNRS.
Pourrais-tu nous parler de mathématiciens ou de mathématiciennes qui t’ont marqué, influencé, ou que tu admires tout particulièrement (personnages historiques ou contemporains) ?
Trop souvent, on insiste sur les côtés surdoués, presque surnaturels, des mathématicien-nes célèbres. J’ai donc eu deux influences. D’un côté certaines grandes figures (quand j’étais étudiant Russel, Schwartz, Grothendieck, Tao, …) m’ont inspiré que faire des maths c’était « pour l’honneur de l’esprit humain » comme a écrit Dieudonné. D’un autre, des personnes proches de moi m’ont montré comment faire des maths ça marche concrètement. Un ami chercheur de mon père m’a marqué dans mon enfance, par son approche intellectuelle à de nombreux sujets. Puis mes profs de prépa m’ont fait découvrir comment en travaillant on peut arriver, petit à petit, à comprendre et maîtriser des concepts de plus en plus complexes. Enfin, c’est surtout celles et ceux avec qui j’ai travaillés qui m’ont marqué : mon directeur de thèse, mes collaborateurs et collaboratrices. Chacune de ces personnes a des méthodes différentes de travail, trouve un équilibre différent entre ce que l’on consacre à sa carrière scientifique et ce que l’on consacre au reste de sa vie. Cela m’influence beaucoup maintenant que je démarre la partie stable de ma carrière de mathématicien.
Qu’attends-tu du métier de mathématicien ?
En premier, je souhaite produire des résultats concrets. Pour mon domaine, cela signifie répondre à des questions théoriques jusqu’alors mal comprises, qui de proche en proche, pourront éclairer les mathématiciens appliqués, physiciens et ingénieurs. Par exemple, l’étude des phénomènes de concentration que j’évoquais plus haut est importante pour la compréhension des mouvements à l’intérieur de fluides, et c’est un domaine qui progresse beaucoup à l’heure actuelle. Ensuite, j’espère m’attaquer à des problèmes plus profonds, moins balisés : faire des maths c’est aussi avancer vers l’inconnu. À nouveau un exemple : à l’heure actuelle on comprend surtout des solutions particulières des équations que je considère, sur lesquelles on fait plus d’hypothèses ce qui permet de déduire davantage d’information. Comprendre les propriétés de solutions plus générale, qui sont plus complexes à décrire, reste un problème majeur. Enfin, à un niveau personnel, je considère que les pensées, l’imagination, forment la richesse de la vie humaine. Faire des mathématiques, c’est une forme de spiritualité : on accède à un inconnu excitant pour l’esprit, après une longue réflexion que l’on doit maîtriser, c’est une manière de se montrer qu’on a un libre arbitre. J’espère que ce plaisir me durera longtemps !
Pourquoi le CNRS ?
Mon emploi de chargé de recherche au CNRS me permet de me focaliser librement et à temps plein à la recherche mathématique. C’est une opportunité sans équivalent, et dont j’espère profiter au maximum. Concrètement, c’est une excellente position pour un début de carrière dans la recherche.
Contact
Charles Collot est chargé de recherche au CNRS. Il est membre du Laboratoire Analyse, Géométrie, Modélisation (AGM - CNRS & Université Cergy-Pontoise).