Le laboratoire international CRM-CNRS, centre névralgique des relations mathématiques entre le Québec et la France
Fondé en 1968 à Montréal, le Centre de recherches mathématiques (CRM) est aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants centres de recherche en mathématiques du monde. Ses liens avec la France et plus particulièrement le CNRS se concrétisent en 2011, lors de la création d’une unité mixte internationale adossée au CRM, aujourd’hui appelée lRL CRM-CNRS. A l’occasion de la nomination de son nouveau directeur, Emmanuel Royer, en septembre 2024, l’Insmi revient sur cette collaboration florissante.
Une institution unique en son genre sur le territoire canadien
En 1968, plusieurs universités québécoises décident de regrouper l’ensemble des forces vives en mathématiques du Québec, créant ainsi une structure à l’époque unique en son genre, le Centre de recherches mathématiques (CRM). Ces universités fondatrices – l’Université de Montréal, l’Université Concordia, l’Université Laval, l’Université McGill, l’Université du Québec à Montréal et l’Université de Sherbrooke – ont par la suite intégré l’Université d’Ottawa à leur partenaires, ce qui a étendu l’influence du CRM en dehors du Québec. Ces universités ont décidé, à travers cette structure, de regrouper des mathématiciennes et mathématiciens du monde entier autour de nombreuses activités.
Le CRM est l’un des trois grands centres de mathématiques du Canada, mais également le plus ancien. Avec le Fields, situé à Toronto et fondé en 1994, le Pacific Institute for Mathematical Sciences (PIMS) et le Atlantic Association for Research in the Mathematical Sciences (AARMS), établi en 1996 dans la région atlantique du Canada, créé en 1996, ils permettent de couvrir l’ensemble du territoire canadien. Composé de treize laboratoires, le CRM présente une double structure unique : il s’agit à la fois d’un centre avec une programmation internationale organisée notamment en semestres thématiques, doublé d’une fédération de laboratoires. Le CRM traite ainsi l’ensemble des mathématiques, « et encore plus », comme le souligne Olivier Lafitte, ancien directeur de l’IRL CRM-CNRS. D’autres sciences font en effet partie du périmètre du CRM, telles que l’informatique ou encore la physique théorique, lui conférant un aspect pluridisciplinaire.
Les différents laboratoires du CRM :
- CAMBAM (Centre for Applied Mathematics in Bioscience and Medecine) ;
- CICMA (Centre interuniversitaire en calcul mathématique algébrique) ;
- CIRGET (Centre interuniversitaire de recherches en géométrie et topologie) ;
- GIREF (Groupe interdisciplinaire de recherche en élements finis) ;
- LACIM (Laboratoire d’algèbre, combinatoire et d’informatique mathématiques) ;
- MILA (Montreal intelligence Artificielle Laboratoire) ;
- PhysNum (laboratoire de physique numérique) ;
- Probabilités ;
- Quantact (laboratoire de mathématiques financières et actuarielles) ;
- Statistiques.
Les nombreuses activités du CRM et de ses laboratoires jouent un rôle important dans la formation des nouvelles générations de chercheuses et chercheurs. En tant que lieu privilégié de rencontres scientifiques au Québec, le CRM contribue grandement à l’avancée des collaborations de recherches internationales en mathématiques, à l’instar du Cirm ou de l’IHP en France.
En 2011, il a été décidé avec le CNRS de créer une unité mixte internationale1 qui serait associée au CRM, dans la lignée de celle créée en 2007 avec le PIMS. Cette unité, désormais désignée par le sigle IRL CRM-CNRS, a été renouvelée trois fois. Le 1er septembre 2024, l’IRL accueille son nouveau directeur, Emmanuel Royer, qui succède ainsi à Olivier Lafitte. Ce laboratoire a pour mission de donner un cadre institutionnel à la coopération fructueuse entre la France, le Québec et Ottawa en sciences mathématiques, et de permettre d’accroître les collaborations entre mathématiciennes et mathématiciens français et québécois.
- 1Ancienne dénomination des laboratoires de recherche internationaux (IRL)
Un vivier d’opportunités pour les chercheuses et chercheurs
Les activités du CRM, de nature variée, ont pour objectif de faire rayonner les sciences mathématiques à l’échelle du Canada et au-delà. On retrouve ainsi l’organisation d’ateliers, de conférences et de semestres thématiques à envergure internationale, ainsi que l’accueil d’enseignantes-chercheuses, d’enseignants-chercheurs, de chercheuses et de chercheurs pour des séjours de plus ou moins longue durée. Dans ce cadre, l’IRL CRM-CNRS offre aux scientifiques du CRM et aux étudiantes et étudiants l’opportunité d’effectuer et de cofinancer des séjours de recherche en France. En parallèle, l’Insmi propose chaque année aux chercheuses et chercheurs de ses unités d’effectuer un séjour de moyenne ou longue durée à l’IRL.
Le rayonnement du CRM s’exprime aussi à travers ses financements de prix et de chaires. Conjointement avec le PIMS et le Fields, il décerne le prix CRM-Fields-PIMS. Il s’agit de la reconnaissance la plus importante au Canada pour des réalisations de recherches en sciences mathématiques, réalisées principalement au Canada. Le centre finance notamment de prestigieuses bourses post-doctorales et décerne, depuis 1992, le prix de mathématiques André-Aisenstadt. C’est d’ailleurs le nom du bâtiment dans lequel le CRM est hébergé à l’université de Montréal.
Quant aux chaires Aisenstadt, elles permettent d’accueillir dans chaque programme thématique du CRM des mathématiciennes et mathématiciens de très grande renommée pour un séjour allant d’une semaine à un semestre. Les titulaires sont invitées et invités à donner une série de conférences sur un sujet en lien avec la programmation thématique, choisi pour son intérêt et son impact en la matière. Conformément à la demande du donateur, la première conférence du cycle doit être accessible à un large auditoire. Depuis 1970, soit quasiment depuis la création du CRM, ces chaires connaissent un grand succès.
Ce florilège d’activités fait du CRM un « cadre privilégié pour faire de la recherche en ayant l’esprit libéré de toute autre contrainte », selon Emmanuel Royer. « Que ce soit pour deux semaines, six mois ou un an, c’est une opportunité. L’aspect francophone facilite aussi les choses, la vie quotidienne est plus simple à appréhender ». « Et au-delà du Québec, le CRM, par ses relations, représente une ouverture sur l’Amérique du Nord et sur d’autres disciplines scientifiques », complète Olivier Lafitte. Favoriser la venue de chercheuses et chercheurs est donc l’une des priorités de l’IRL malgré les craintes exprimées ces dernières années, comme « celle suscitée par la croissance de la complexité des tâches administratives », estime Emmanuel Royer. Un obstacle administratif qui, dans les faits, n’empêche pas l’IRL de croître, celui-ci accueillant actuellement une dizaine de chercheuses et chercheurs affectés.
Témoignage de Claire Guerrier, chercheuse CNRS qui a effectué un premier séjour à l’IRL CRM-CNRS en 2021/2022 et qui y est de nouveau affectée depuis 2023
J’ai rencontré Anmar Khadra, professeur à l’Université McGill dans le département de Médecine et Physiologie, en 2018 à Montréal. Anmar est un mathématicien qui travaille en biologie computationnelle. Il avait des données très intéressantes sur la plasticité de la myéline, et nous avons rapidement entamé une collaboration sur ce sujet. Mon fils est né en 2018, et j’ai pris mon premier poste en septembre 2019. Avancer dans le travail avec le décalage horaire et les contraintes familiales n’était pas évident. Un collègue m’a parlé de l’opportunité de passer un an à l’IRL-CRM, à l’université de Montréal, et j’ai donc sauté sur l’occasion. Être sur place m’a permis de participer aux rencontres de groupes d’Anmar, de rencontrer en personne les collaborateurs expérimentaux, et de co-encadrer des étudiantes et étudiants de master, ce qui a été un véritable tremplin pour avancer dans le travail.
J’ai également rencontré plusieurs collègues affectés comme moi à l’IRL, et j’ai même pu entamer une nouvelle collaboration. Montréal est une ville universitaire dynamique avec plusieurs universités. L’environnement scientifique est très riche ce qui permet de faire beaucoup de rencontres. Également, être loin de la vie du labo m'a donné une forme d’apaisement, l’impression d’être « planquée », et d’avoir plus de temps disponible pour la recherche. J’adore travailler dans ces conditions !
D’un point de vue personnel, mon compagnon était lui aussi très content d’être à Montréal et j’ai pu partir avec deux jeunes enfants sans soucis. L’école et les garderies sont assez similaires à la France, on arrive toujours à s’organiser. Je suis ensuite repartie pour un deuxième séjour, avec trois enfants cette fois-ci. Je ne peux qu’encourager les collègues à partir, et à embarquer la famille au besoin. Montréal est francophone, donc l’organisation n’est pas trop compliquée, et cela donne une réelle bouffée d’air pur dans le travail et dans le quotidien. C’est de mon point de vue une occasion exceptionnelle.
Pour Emmanuel Royer, qui prend donc la direction de l’IRL, l’objectif est clair. Celui-ci désire « continuer à élargir le spectre de l’IRL, en favorisant les collaborations nouvelles sans pour autant détruire les existantes. Je souhaite faire connaître les différents moyens de financements qui existent déjà et qui sont, à ce jour, sous-utilisés. Il est aussi important de faire comprendre aux décideurs, tant québécois que canadiens ou français, la nécessité d’investir à long terme dans les mathématiques. »