Le modèle Subscribe to Open, une réussite dans le mouvement de la science ouverte

Science ouverte

Le modèle subscribe to open (S2O) est aujourd’hui une réussite pour les revues de mathématiques ayant suivi cette approche. En fixant un seuil d’abonnements permettant le bon fonctionnement des revues, le modèle S2O garantit l’accès libre à leur contenu, augmente la qualité des articles sélectionnés et s’inscrit dans le courant de la science ouverte. Retour sur les succès de cette transition avec Amandine Véber, Mathieu Lewin et Anne-Laure Dalibard.

Le modèle subscribe to open est une façon d’affirmer que le but premier de l’édition scientifique n'est pas de générer de forts profits et que l'accès à la publication d'un article ne doit pas être soumis à un niveau de ressources.
Jean-François Coulombel, Délégué scientifique édition scientifique et la science ouverte

Présentation des profils

Amandine Véber est directrice de recherche au laboratoire de mathématiques MAP51 et secrétaire générale adjointe aux publications de la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI) chez EDP Sciences.

Mathieu Lewin est directeur de recherche au Centre de recherche en mathématiques de la décision (CEREMADE)2 .

Anne-Laure Dalibard est professeure au laboratoire Jacques-Louis Lions (LJLL)3 et au département de mathématiques et applications à l’ENS Paris. Ces deux derniers chercheurs sont les éditeurs en chef de la revue Annales de l’Institut Henri Poincaré (IHP) C - Analyse non linéaire, publiée chez EMS Presse.

  • 1CNRS / Université Paris Cité
  • 2CNRS / Paris Dauphine
  • 3Sorbonne université

Le modèle subscribe to open (S2O)

Le modèle subscribe to open (S2O) permet de rendre l’accès libre au contenu des revues, c’est-à-dire sans frais supplémentaire tant pour les autrices et auteurs que le lectorat. Les articles acceptés pour publication sont publiés en accès ouvert sous une licence CC-BY (les droits étant conservés par les autrices et auteurs).

Contrairement aux idées reçues, la publication scientifique représente un coût : on chiffre en moyenne entre 500 € et 1000 €4 la publication d’un article dans une revue, sans compter le travail bénévole des éditrices et éditeurs qui reste difficile à quantifier. « Derrière chaque article, il y a des personnes qui passent plusieurs heures à le mettre en page de façon professionnelle. Assurer que l’article publié soit connecté à toutes les bases de données représente aussi un coût, tout comme le stockage et la mise en ligne de ces publications », explique Mathieu Lewin. Le modèle S2O s'enclenche quand un certain nombre de bibliothèques s’abonne à une revue, car le montant de ces abonnements finance alors l’accès ouvert pour tout le monde, y compris les personnes ou établissements qui ne seraient pas abonnés. Afin d’établir un contrat S2O, un seuil d’abonnements minimal est mis en place : pour cela, les équipes éditoriales estiment le nombre d’abonnements nécessaires à la viabilité du journal en analysant les coûts de fonctionnement de la revue sur des années précédentes. En outre, l’éditeur fait le compte des abonnements chaque année : si le seuil d’abonnements est atteint, les articles acceptés pour publication cette année sont publiés sous une licence CC-BY qui permet aux articles d’être consultables en accès ouvert, et ce de manière continue pour les années suivantes. L’enjeu est donc d’atteindre le seuil chaque année, de sorte que tous les numéros de la revue soient en accès ouvert sans discontinuité.

  • 4https://www.edpsciences.org/images/stories/news/2021/EDP-SubscribetoOpen-2021.pdf
Il s'agit d'un modèle collaboratif, il faut donc que les bibliothèques et institutions jouent le jeu de s'abonner et qu'il n'y ait pas trop de "free-riders" qui profitent de l'ouverture du contenu sans contribuer à son financement.
Amandine Véber, Directrice de recherche au laboratoire MAP5

Une transition progressive

Le modèle subscribe to open n’a pas toujours été l’orientation suivie par les revues de mathématiques. Si la transition vers ce modèle est relativement récente, il s’agit d’un projet longuement réfléchi et parfois débattu au sein des publications. Depuis quelques années, la SMAI et Édition Diffusion Presse Sciences (EDP Sciences) réfléchissaient aux manières possibles d'ouvrir le contenu de leurs publications communes. Amandine Véber explique : « En 2019, les collègues d'EDP Sciences nous ont proposé de tenter le modèle S2O, alors très peu connu mais qu'elles avaient identifié comme prometteur. Cela nous a semblé être une très bonne idée, mais d'un autre côté le manque d'informations et de recul sur ce modèle nous faisait craindre des vices cachés, ou des difficultés inattendues, dans son fonctionnement. Nos échanges avec les acteurs de la publication française en mathématiques nous ont permis d’asseoir ce modèle sur des bases solides ».

Cette transition a été bien accueilli, remarque Anne-Laure Dalibard : « La communauté mathématique en France est globalement en faveur de modèles d’accès ouvert comme le modèle subscribe to open ». Mais cette transition va de pair avec un durcissement de la sélection des publications, « cela peut créer des frustrations, que j’entends » ajoute-t-elle.

Une sélection plus stricte des articles

La transition vers un modèle subscribe to open présente parfois des contraintes auxquelles font face les journaux. Dans le contrat avec leur nouvel éditeur, il est par exemple demandé aux Annales de l’IHP de publier moins de pages au total par an que dans le passé. « Par conséquent », explique Anne-Laure Dalibard, « nous devons être plus sélectif ». « Le passage au S2O a augmenté le niveau du journal », ajoute Mathieu Lewin.

Amandine Véber remarque qu’un risque du modèle S2O concerne « l’érosion des budgets des bibliothèques, qui les oblige malgré elles à faire des arbitrages pas toujours favorables à des revues comme celles de la SMAI, ayant un rayonnement international indéniable mais n'ayant pas, pour certaines, une audience suffisamment large pour les rendre prioritaires lors des choix d'abonnement ». Certains aspects techniques nécessitent une vigilance. En dehors de France par exemple, il existe des bibliothèques qui ne sont pas autorisées à acheter un service quand celui-ci devient in fine gratuit, comme l’accès au contenu d’une revue sous un modèle S2O. « Il a parfois fallu s'adapter, en proposant une autre forme de service », commente Amandine Véber.

Une réussite indéniable, à diffuser

Des actions ont été menées pour encourager et diffuser le modèle subscribe to open par les Annales de l’Institut Henri Poincaré. Par exemple, l'association des publications de l'IHP offre des abonnements, par l’intermédiaire d’un appel, destinés à certains pays en développement grâce à un reliquat d’argent du précédent éditeur. A ce jour, 32 bibliothèques dans le monde ont bénéficié de ce système. En outre, en fin d’année, l’équipe envoie un mail aux autrices et auteurs ayant publié un article dans le journal l’année passée pour vérifier si leur bibliothèque est bien abonnée. Sachant que toutes les bibliothèques françaises le sont par l’intermédiaire du Réseau National des Bibliothèques de Mathématiques (RNBM), cela permet surtout de faire le point avec les contributrices et contributeurs hors de France. Anne-Laure Dalibard estime que « cela responsabilise la communauté : il faut que les bibliothèques s’abonnent ». Amandine Véber ajoute que « depuis quelques années, il est également possible pour les chercheuses et chercheurs de soutenir des revues utilisant ce modèle grâce à leurs financements ANR, remplaçant ainsi le paiement de frais de publication par une contribution à l’ouverture d’une ou plusieurs revues ».

Pour Anne-Laure Dalibard et Mathieu Lewin, travailler avec des éditeurs professionnels est un gage de qualité pour la publication des articles. « Un avantage majeur de ce modèle est qu'il a un coût de mise en place assez faible pour une revue ayant déjà un certain nombre d'abonnés, car le mode de financement de la revue reste le même (les bibliothèques s'abonnent) mais le contenu publié devient ouvert à toutes et tous », complète Amandine Véber.

Le modèle S2O est par ailleurs un autre moyen de réagir aux pressions qui peuvent être exercées par de grandes maisons d’édition, souvent favorables au modèle auteur-payeur. Grâce au modèle S2O, les bibliothèques et laboratoires sont en mesure de reconsidérer leur abonnement si la qualité de la revue venait à baisser : « cela incite donc les éditeurs à maintenir les publications à un très bon niveau. Ce n'est pas le cas des frais de publication pour les autrices et auteurs, puisqu'au contraire une revue qui perd en excellentes soumissions peut se contenter d'accepter des articles de faible qualité pour compenser le revenu perdu », explique Amandine Véber.

Il s'agit donc d'un modèle assez facile à mettre en place, qui requiert une transparence dans sa gestion et qui replace la communauté scientifique au cœur de la décision de quelles revues sont à soutenir ou pas.
Amandine Véber, Directrice de recherche au laboratoire MAP5

Contact

Jean-François Coulombel
Délégué scientifique édition scientifique et la science ouverte
Violaine Louvet
Déléguée scientifique données et calcul scientifique
Christophe Delaunay
Directeur adjoint scientifique