Les travaux d’Yvon Maday, prix ICIAM Pioneer 2019

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Professeur à Sorbonne Université et professeur invité à Brown University, Yvon Maday est lauréat du prix ICIAM Pioneer 2019. Le Pioneer Prize récompense un travail pionnier introduisant des méthodes de mathématiques appliquées et des techniques des sciences du numérique dans un problème industriel ou dans un nouveau champ scientifique d’application. Il est décerné à Yvon Maday en reconnaissance de son rôle de premier plan dans l’introduction de méthodes puissantes pour la simulation numérique, comme les méthodes spectrales, la réduction de modèles, la décomposition de domaine, les modèles et la simulation en sciences médicales, l’interaction fluide-structure et la chimie ab-initio.

Yvon Maday est né en 1957. Après des études en classe préparatoire à Saint-Brieuc, sa ville natale, puis à Rennes, il intègre l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud. Premier signe tangible de son éclectisme et de sa force de travail, il passe le concours et valide trois années d’études de médecine en parallèle de sa thèse de troisième cycle en mathématiques appliquées.

Il est recruté comme Maître de Conférences à l’Université de Créteil en 1981. Entre 1987 et 1989, il effectue un séjour de 18 mois à Brown et au MIT, qui marque le début d’une collaboration fructueuse et d’une longue amitié avec Anthony Patera. En 1989, il rejoint en tant que Professeur le laboratoire d’Analyse Numérique - actuel Laboratoire Jacques-Louis Lions - de l’Université Pierre et Marie Curie. Il occupe également un poste de Professeur Chargé de cours à l’Ecole Polytechnique de 1993 à 2005 et de Professeur invité à Brown de 2004 à 2018.

Ses travaux sont d’une grande originalité et couvrent une très large gamme de méthodes numériques (éléments finis et méthodes spectrales, décomposition de domaine, bases réduites, problèmes en grande dimension) et d’applications (mécanique des fluides, interaction fluide-structure, chimie, biologie et médecine). Ils ont donné lieu à plus de 180 articles ainsi qu’à 6 ouvrages. Son goût prononcé pour les applications a naturellement amené Yvon Maday à travailler avec de nombreux collègues d’autres disciplines, ainsi qu’avec plusieurs grandes entreprises françaises : Alstom, Air Liquide, EDF, L’Oréal, RATP.

La qualité exceptionnelle de ses contributions en mathématiques appliquées ont valu à Yvon Maday de nombreux prix et distinctions : le prix Blaise Pascal (SMAI-GAMNI et Académie des Sciences) en 1991, le Grand Prix Jacques-Louis Lions de l’Académie des Sciences en 2009, le prix Atos - Joseph Fourier en 2018, auquel s’ajoute aujourd’hui le Pioneer Prize 2019 décerné par SIAM. Il a été élu à l’Académie Européenne des Sciences en 2003, et a été conférencier invité au Congrès International des Mathématiciens en 2006. Depuis 2012, il est membre senior de l’Institut Universitaire de France.

Outre ses activités de recherche et d’encadrement doctoral et postdoctoral foisonnantes - il a encadré plus de 50 thèses et a formé de nombreux collègues aujourd’hui en poste en France et à l’étranger - Yvon Maday consacre une énergie et un enthousiasme exceptionnels au service de la communauté.

En 1996, il crée avec Frédéric Coquel le CEMRACS (Centre d’Etude Mathématique de Recherche Avancée en Calcul Scientifique), un programme novateur permettant de renforcer les collaborations entre mathématiciens et industriels ou spécialistes d’autres disciplines, et en anime les trois premières éditions. Depuis lors, le CEMRACS se tient chaque été au CIRM durant six semaines. Il rencontre un grand succès et est une vitrine des mathématiques appliquées en France.

Parmi les nombreuses responsabilités qu’Yvon Maday a prises au sein de son institution, on peut citer notamment la direction du Laboratoire Jacques-Louis Lions (2001- 2013), ainsi que la présidence du département de Mathématiques (1994-2000), puis de l’école doctorale de Mathématiques (1999-2005). En 2016, il fonde l’Institut Carnot Smiles afin de renforcer la recherche partenariale avec les entreprises sur les thèmes de la modélisation mathématique, de la simulation numérique, de l’optimisation, et des sciences des données. Il a en outre assuré la présidence du conseil d’administration de l’IDRIS (1999-2005), de la SMAI (2004-2006), et de la commission d’évaluation d’Inria (2015-2019).

Mais revenons aux aspects purement scientifiques. Comme mentionné plus haut, Yvon Maday a introduit des approches très originales dans plusieurs domaines des mathématiques appliquées.

En collaboration avec Anthony Patera, il a introduit la méthode des éléments spectraux de Legendre - une alternative à la méthode classique des éléments finis - pour la résolution numérique d’équations aux dérivées partielles, et a montré son efficacité en mécanique des fluides numériques. Cette méthode est notamment au cœur du code de calcul Nek5000. Ce code de résolution des équations de Navier-Stokes, développé par Paul Fischer, est très utilisé pour simuler des écoulements turbulents sur des calculateurs massivement parallèles.

Tout au long de sa carrière, Yvon Maday a fortement contribué au développement d’algorithmes pour le calcul parallèle. Cette approche vise à découper un problème de très grande taille en N sous-problèmes de plus petite taille, dont la résolution peut être distribuée sur N processeurs. La difficulté est évidemment d’assurer que les solutions des sous-problèmes se recollent de manière cohérente.

La première contribution majeure d’Yvon Maday dans ce domaine est l’invention, en collaboration avec Christine Bernardi, de la méthode des éléments mortiers qui joue un rôle essentiel dans la résolution d’équations aux dérivées partielles par la méthode des éléments finis sur un domaine formé de plusieurs pièces. Lorsque chaque pièce est maillée de manière indépendante, ce qui est usuellement le cas en mécanique et en électromagnétisme par exemple, les maillages des différentes pièces ne se raccordent pas aux interfaces ; dans la méthode des éléments mortiers, la continuité de la solution aux interfaces est assurée en un sens faible par l’introduction de multiplicateurs de Lagrange choisis de manière à optimiser la précision de la solution. Cette méthode a trouvé de multiples applications dans nombre de domaines, comme les simulations couplées fluide-structure qu’on rencontre en ingénierie comme en médecine (écoulements sanguins).


L'approche traditionnelle en décomposition de domaine consiste à paralléliser la résolution d'un problème aux limites, ou d'une équation aux dérivées partielles en espace et en temps, par rapport à la variable d'espace : le domaine de l'espace $\Omega\subset {R}^d$ sur lequel est posé le problème est décomposé en $N$ sous-domaines $\Omega_1,\cdots,\Omega_N$ pouvant, ou non, se superposer~; le processeur $i$ s'occupe du sous-domaine $\Omega_i$, et les processeurs $i$ et $j$ échangent des informations relatives aux valeurs de la solution à l'interface entre $\Omega_i$ et $\Omega_j$ (cas sans recouvrement), ou en les nœuds du maillage intérieurs à $\Omega_i \cap \Omega_j$ (cas avec recouvrement). En 2001, Yvon Maday introduit avec Jacques-Louis Lions et Gabriel Turinici l'algorithme pararéel, dont l'objectif est de paralléliser en temps la résolution d'un problème d'évolution : l'intervalle de temps $[0,T]$ de la simulation est découpé en $N$ intervalles de temps de longueur $\Delta T = T/N$ et le processeur $i$ s'occupe du sous-intervalle de temps $[(i-1) \, \Delta t, i \, \Delta t]$.  L'objectif peut sembler de prime abord voué à l'échec puisqu'on pourrait penser que le processeur numéro $i$ ne pourra commencer à travailler que lorsque le processeur $i-1$ aura terminé sa tâche (la condition initiale sur $[(i-1) \, \Delta t, i \, \Delta t]$ correspondant à la condition finale sur $[(i-2) \, \Delta t, (i-1) \, \Delta t]$. Avec ses collaborateurs, Yvon Maday a montré qu'en combinant astucieusement deux schémas de résolution en temps, l'un précis mais coûteux en temps de calcul, l'autre grossier mais peu coûteux, il était possible de paralléliser en temps de manière extrêmement efficace une large gamme de problèmes d'évolution.

 

Une autre contribution fondamentale d’Yvon Maday, en partenariat avec Anthony Patera et leurs collaborateurs, concerne le développement et l’analyse de méthodes de réduction de modèles, notamment de la méthode des bases réduites. Cette méthode est particulièrement adaptée aux problèmes dépendant de paramètres. En pratique, les paramètres peuvent être scalaires (le temps pour les problèmes d’évolution) ou de grande dimension (par exemple les paramètres géométriques d’une aile d’avion). L’idée est d’effectuer on line, pour un petit nombre de valeurs des paramètres, quelques simula- tions par une méthode précise mais coûteuse - par exemple une méthode d’éléments finis sur un maillage fin -, puis d’effectuer on line, pour les autres valeurs des paramètres, des simulations peu coûteuses obtenues en cherchant la solution approchée dans la petite base - dite base réduite - des solutions calculées off line. Des estimateurs d’erreur a posteriori peuvent être utilisés pour s’assurer que, pour un jeu de paramètres donnés, la base réduite est de taille suffisante pour donner lieu à une précision acceptable ; si ce n’est pas le cas, un calcul précis est effectué pour ce jeu de paramètre et la solution obtenue est ajoutée à la base réduite.

Un problème pratique se pose cependant pour les problèmes non-linéaires : comment sélectionner, dans l’espace des paramètres - qui peut être de grande dimension -, un petit nombre de points permettant de construire une base réduite de très bonne qualité ? En 2004, Yvon Maday a proposé une solution très originale à ce problème, qu’il a tout d’abord appelée méthode d’interpolation empirique ou méthode des points magiques (magic points) car ni lui ni personne d’autre ne comprenait pourquoi elle marchait si bien. Ce n’est qu’en 2017 qu’il a démontré avec Olga Mula et Gabriel Turinici, que sous certaines hypothèses, cette méthode fournissait une solution quasi-optimale du problème considéré.

Yvon Maday est enfin très actif dans le domaine des applications. Guidé par une insatiable curiosité scientifique, il n’hésite pas à explorer de nouveaux champs hors de sa zone de confort - hier la chimie quantique et le contrôle des systèmes de transport, aujourd’hui la biologie marine - et à prendre à bras le corps des problèmes difficiles issus d’autres disciplines ou des entreprises afin d’en chercher des solutions pratiques et efficaces. Son approche des mathématiques appliquées, combinant au meilleur niveau l’analyse mathématique rigoureuse des modèles et des méthodes numériques et la résolution pratique de problèmes concrets, et son énergie communicative sont une source d’inspiration pour la communauté.

Lire aussi l’interview d’Yvon Maday

Contact

Yvon Maday est professeur à Sorbonne Université et professeur invité à Brown University. Il est membre du laboratoire Jacques-Louis Lions (LJLL - CNRS, Université Paris Diderot, Sorbonne Université).