Maths, entreprises & société : portrait d'Alice Nassor

Innovation Portraits

Le prix de thèse maths entreprises & société a été créé en 2013 par l'Amies pour promouvoir les thèses de mathématiques réalisées en partie en collaboration avec un partenaire socio-économique et ayant des retombées directes pour celui-ci.

Parrainé par les sociétés savantes Société Française de Statistique (SFDS), la Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles (SMAI) et la Société Mathématique de France (SMF), le prix de thèse 2024 a été remis lors de la 13ème édition du Forum Entreprises & Mathématiques, lundi 7 octobre 2024.

Alice Nassor

 

 

Comment a démarré votre collaboration avec Naval Group ? 

Après une école d’ingénieur en mécanique, je me suis orientée vers des méthodes numériques en master (calcul couplé, calcul de structures, modélisation...). J’avais vraiment envie de poursuivre des études plus mathématiques, donc je cherchais une thèse en maths. J’étais aussi intéressée par les liens avec les structures, les sujets liés au génie maritime, au naval. J’ai trouvé un sujet de thèse qui correspondait à tout ce que je cherchais, autant en termes d’applications industrielles qu’en recherche « technique ». Mes directeurs de thèse avaient déjà réussi une collaboration de thèse entre mon laboratoire et Naval Group. La collaboration s’est donc poursuivie avec un deuxième sujet de thèse, et je suis arrivée à ce moment-là : j’étais en M2 et le sujet correspondait parfaitement avec ce que j’avais envie de faire. C’était une super opportunité ! Ma thèse s’est aussi effectuée en collaboration avec la Direction Générale de l’Armement (DGA), qui a rejoint la collaboration avec Naval Group ultérieurement.

Pouvez-vous nous parler de votre sujet de thèse ?

L’objectif a été de développer des méthodes numériques et, en même temps, de modéliser de façon rapide et précise l’interaction avec une structure qui arrive lorsqu’un sous-marin est soumis à une explosion sous-marine lointaine. Pour cela, des logiciels industriels existent depuis très longtemps, mais ces logiciels sont anciens et fondés sur des approximations d’équations. L’idée est donc de développer un nouvel outil de modélisation pour résoudre ce problème-là. Pour cela, on utilise des éléments finis pour modéliser les comportements de la structure sous-marine, et une méthode appelée « les éléments frontières », fondés sur des équations intégrales de frontières, pour modéliser l’océan, qui est un milieu infini. Tout l’enjeu de la thèse a été d’essayer de coupler ces deux méthodes. Ces problèmes ayant une dynamique très rapide, nous avions besoin d’une méthode efficace. Mais les premiers tests numériques n’étant pas convergents. Nous nous sommes donc intéressés aux théories de décomposition de domaine pour chercher à mieux comprendre les problèmes mathématiques en jeu et développer une stratégie convergente permettant de coupler nos deux méthodes numériques. 

Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés lors de votre recherche ?

Mon sujet de thèse étant industriel, on a dû s’appuyer sur un solveur élément fini commercial particulier, c’est-à-dire celui utilisé par les ingénieurs de Naval Group. Or, ce solveur-là ne permet pas d’utiliser un certain type de condition limite que nous avions besoin d’utiliser pour que notre couplage fonctionne. En concertation avec Naval Group, nous avons ensuite retenu un autre solveur élément fini. Ce dernier est d’ailleurs en open source. C’était important, parce qu’on développe un outil certes, mais on souhaite que l’outil soit utilisable par les ingénieurs après, il faut donc que ça corresponde à leur besoin. Les discussions étaient intéressantes : dans le développement du couplage, de la recherche très en amont, on prenait déjà en compte les outils numériques qui allaient être utilisés ensuite. J’ai trouvé très intéressant de guider une recherche par rapport aux besoins en ingénierie. 

Quelles applications pratiques de vos recherches voyez-vous émerger dans le futur ?

Cette thèse va proposer une meilleure compréhension des problèmes acoustiques élastiques. On a montré dans quel cadre fonctionnel ces problèmes peuvent être résolus, quels types de conditions limites peuvent être utilisées, etc. Ça reste vraiment des maths, mais on a quand même fait avancer la compréhension de problèmes mécaniques, qui peuvent servir dans plein de domaines. Ces travaux-là pourront être utilisés dans d’autres domaines que l’ingénierie navale, même si le code qui est sorti de la thèse appartient pour l’instant à Naval Group. 

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes souhaitant orienter leurs recherches en mathématiques vers des applications concrètes ?

Je leur conseillerais de bien orienter leur choix de cours, de s’intéresser au contenu scientifique avant l’application. Cette dernière est certes très importante, mais quand on fait de la recherche il est important d’aimer le contenu scientifique. Même un type de science peut avoir plein d’applications différentes. Évidemment, bien choisir son laboratoire, ses directrices ou directeurs de thèse, peut-être même avant le sujet de thèse car c’est ça qui fait qu’un projet est bien mené et enrichissant. Une thèse, c’est quand même un travail collectif, donc le choix de l’équipe est central. Pour ma part, j’ai été encadrée par cinq personnes, toutes avec leur point de vue. C’était très riche !

Comment voyez-vous le rôle des mathématiques dans la résolution de problématiques sociétales actuelles ? 

Dans mon sujet de thèse, c’est vraiment grâce aux mathématiques qu’on a réussi à comprendre le fonctionnement des simulations et des logiciels. Remonter aux mathématiques fondamentales nous a permis de comprendre des outils numériques et de les améliorer. On a besoin des maths, pas juste pour utiliser les codes mais pour comprendre ce qu’il y a derrière.

En tant que jeune chercheuse, comment percevez-vous l’évolution du lien entre la recherche académique en mathématiques et le monde socio-économique ? 

Dans le laboratoire où j’étais, il y a beaucoup de collaboration avec les entreprises. Quand on souhaite faire des mathématiques appliquées, je trouve ça chouette de pouvoir travailler sur des sujets concrets et réalistes. Dans l’ensemble, j’ai l’impression que les partenaires, académiques ou industriels, ont envie de collaborer.

  • 1CNRS/Inria/ENSTA