Maths et BD : sortie de la bande dessinée documentaire "Laurent Schwartz - Les engagements d’un médaillé Fields"

Médiation

Après les bandes dessinées sur Joseph Fourier et Sophie Germain, paraît la 3ème édition de BD mathématique : "Laurent Schwartz - Les engagements d’un médaillé Fields", aux éditions Petit à Petit, ce 13 mars 2024.

Cette dernière édition de BD-documentaire est sur Laurent Schwartz, premier mathématicien français à obtenir la médaille Fields en 1950 pour ses travaux sur la théorie des distributions. Bien plus qu’un brillant scientifique, Laurent Schwartz était au carrefour des mouvements sociaux de son époque : il s’engagea contre l’utilisation de la torture pendant la guerre d’Algérie et plaida pour l’indépendance du Vietnam au nom de la liberté des peuples. Retour sur la genèse de cette BD-documentaire avec Hervé Pajot, instigateur du projet et professeur des universités à l'Institut Fourier (UMR5582).

Pourriez-vous vous présenter brièvement ?

Après une thèse à l’Université Paris-Sud (Paris-Saclay maintenant) sous la direction de Guy David en théorie géométrique de la mesure, j’ai été recruté MCF à l’Université de Cergy-Pontoise où j’ai soutenu mon HDR en 2002. Je suis PR depuis 2003 à l’institut Fourier (Université Grenoble Alpes). Je suis aussi le directeur-adjoint de l’UFR info-maths de l’Université Grenoble Alpes.

Premier Français à obtenir la médaille Fields en 1950, Laurent Schwartz était un mathématicien engagé. Est-ce que vous vous souvenez de la première fois où vous en avez entendu parlé, et de ce que vous en avez pensé à l’époque ?

J’ai connu Laurent Schwartz d’abord comme mathématicien quand j’ai appris la théorie des distributions. Puis, j’ai découvert l’homme engagé en lisant son autobiographie intitulée « Un mathématicien aux prises avec le siècle ». J’ai été subjugué : comment peut-on être un très grand mathématicien, mais aussi être quelqu’un qui s’est fortement engagé dans des combats politiques de haut vol (la guerre d’Algérie, la guerre du Vietnam…) ? Comment une seule personne peut-elle faire tout cela (et je ne parle pas de sa collection de papillons) ? Dans ces combats, il était important pour lui de connaître la vérité. Ainsi, il est allé au Vietnam pour constater de visu les désastres commis par l’armée nord-américaine. Je me suis efforcé dans mes engagements politiques (plus modestes !) d’avoir cette probité.

Comment avez-vous été approché pour ce projet de rédaction ? Comment s’est déroulé la rédaction, en lien avec votre regard de scientifique ?

En fait, c’est moi qui a sollicité l’éditeur. Pour la première bande-dessinée sur Joseph Fourier, je cherchais une idée originale pour la commémoration des 250 ans de sa naissance. Comme je connaissais bien un éditeur spécialiste de docu-BD, je lui ai proposé de faire cette BD sur Joseph Fourier. Cela a bien marché, alors on a continué l’aventure. Je travaille avec le scénariste et le dessinateur, en particulier pour l’élaboration du scénario, et j'interagis beaucoup avec la responsable d'édition pour la mise en forme. Puis, selon le découpage en chapitre, je propose à des collègues en maths, physiques, histoire, philosophie, etc. d’écrire des textes qui complètent les planches de BD. J’essaye de coordonner le tout pour que cela soit cohérent.

Notre but est de démontrer que l’élaboration d’une théorie mathématique ne se fait pas du jour au lendemain, qu’elle est le fruit d’un travail humain (individuel ou collectif).
Hervé Pajot, Professeur des universités à l'institut Fourier
Couverture du livre
© Stefano Realdini pour les éditions Petit à Petit

Commandez l'ouvrage

La BD-documentaire est disponible dès à présent en sur le site de l'éditeur Petit à Petit. Par ici pour le commander auprès de votre librairie locale.

Quels sont pour vous les atouts d’une telle médiation scientifique ?

Tout d’abord, la bande dessinée est un bon vecteur pour toucher le grand public, en particulier les jeunes. Pour ces derniers, on essaye de les attirer vers les études scientifiques en leur montrant une image plus vivante des mathématiques. Dans le cas de la bande dessinée sur Sophie Germain, l’accent était mis sur l’accès des filles aux études scientifiques afin de susciter des vocations (nous avons travaillé avec l’association Femmes et Mathématiques). La BD rentre dans un projet plus vaste qui contient une exposition et un film. Nous allons faire des exposés dans des classes lorsque l’établissement accueille l’exposition. Cela renforce les liens entre l’université et l’enseignement secondaire.

Pourquoi est-ce important de montrer les personnes derrière les mathématiques, et leurs interactions avec la société ?

Pour beaucoup de gens, les maths se sont arrêtés avec Pythagore et Euclide. Nous décrivons les vies de mathématiciennes et mathématiciens du 19e ou 20e siècle (avec des interactions avec les mathématiques actuelles) pour montrer que les maths ne sont pas une science morte. On essaye de parler d’applications des maths (par exemple, le traitement du signal pour Joseph Fourier, la cryptographie pour Sophie Germain) alors que beaucoup de gens pensent que les maths sont inutiles.

Le but de ces bandes-dessinées est de présenter les mathématiques sous un autre angle et de tordre le cou à toutes ces idées reçues. Prenons l’exemple de l’analyse de Joseph Fourier que l’on apprend à l’université. C’est une théorie difficile à apprendre. Je trouve que c’est bien de se rendre compte que derrière cette théorie, il y a une vraie personne qui a un destin extraordinaire, qui en a bavé pour élaborer sa théorie et pour la faire reconnaître. Lire la bande-dessinée sur Joseph Fourier rend sa théorie plus vivante.

En tant qu’ancien directeur-adjoint de l’AMIES, je trouve que montrer les interactions des maths avec la société permet de donner une image différente des maths. Ces interactions peuvent être de nature scientifique (Joseph Fourier est le premier à évoquer l’effet de serre, il a aussi écrit un article pour expliquer comment isoler un appartement le plus efficacement possible) ou de nature politique (avec les engagements de Laurent Schwartz).

L’exposition sur Laurent Schwartz organisée à l'institut Fourier marquera aussi la sortie de la BD-documentaire. À qui s’adresse l’exposition ?

Cette exposition s’adresse à un large public. Nos précédentes expositions ont été présentées dans des collèges, des lycées, des universités, des MJC, etc. Elles sont itinérantes : soit nous prêtons nos panneaux, soit nous envoyons les fichiers. Elles sont complétées par un film disponible sur YouTube et diverses ressources disponibles sur le site de l’Institut Fourier

Enfin, on pense souvent que les mathématiciennes et mathématiciens sont des gens qui vivent dans leur propre monde, hors du monde réel. L’exemple de Joseph Fourier qui fut préfet de l’Isère ou l’engagement politique de Laurent Schwartz montre que ce n’est pas toujours le cas.
Hervé Pajot, Professeur des universités à l'institut Fourier
© Université Grenoble Alpes - Institut Fourier

Laurent Schwartz : des mathématiques à l'engagement politique

Dans le cadre de ses expositions sur des mathématiciennes et des mathématiciens qui ont marqué leur discipline et à l'occasion de la sortie de la BD-documentaire, l'institut Fourier propose de retracer l'histoire de Laurent Schwartz à travers une exposition de posters et un film documentaire.

Cette exposition fera l'objet d'une inauguration le 25 mars 2024 à partir de 14h lors de laquelle exposés mathématiques, découverte de l’exposition, expérimentations, buffet viendront rythmer cette journée.

Plus d'informations ici.