Gregorio Rebecchi, doctorant de mathématiques en interaction

Cette année, le Programme de recherche Mathématiques en interaction (PEPR Maths-Vives) a lancé un premier appel à projets à court terme pour des financements de contrats doctoraux de 36 mois. Deux postes de doctorats dans le périmètre scientifique du programme ont été ouverts à la rentrée 2024 : félicitations à la lauréate Charlotte Tonnelier et au lauréat Gregorio Rebecchi

Le contrat doctoral de Gregorio Rebecchi vise à étudier les phénomènes de plasticité synaptique utilisant des outils peu ou non invasifs dans des réseaux neuronaux. Ce sujet de recherche vise à faire dialoguer les mathématiques avec les neurosciences. Retrouvez son interview ainsi que celle de ses deux encadrantes.

Gregorio Rebecchi

  • Doctorat au sein du Laboratoire Jean-Alexandre Dieudonné (LJAD), UMR 7351, CNRS, Université Côte d’Azur, Nice
  • Axe Vivant
  • Mathématiques ∩ Neurosciences  
  • Domaine de recherche : « Estimation de la déformation du réseau neuronal par plasticité synaptique. »
Le but de mon projet de thèse est d’utiliser les mathématiques pour pouvoir comprendre l’impact infinitésimal de la plasticité synaptique sur un réseau neuronal viable.
Grégorio Rebecchi (doctorant)

■ Interview de Gregorio Rebecchi ▾

  • Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, je m’appelle Gregorio Rebecchi. Je viens de commencer une thèse à l’Université Côte d’Azur sur l’estimation de la déformation du réseau neuronal par la plasticité synaptique. J’ai commencé mes études à l’Université de Modène, en Italie, où j’ai suivi une licence en Psychologie. Au cours de ces années d'études, je me suis passionné pour les neurosciences et j'ai souhaité poursuivre mes études sur ce sujet, mais en impliquant davantage l'aspect mathématique et computationnel. C’est pour cette raison que je me suis inscrit il y a deux ans à un Master en modélisation des réseaux neuronaux et cognitifs (Mod4NeuCog) à Nice. Durant ces deux années j’ai découvert la recherche interdisciplinaire entre mathématiques et biologie. Je vais poursuivre dans les prochaines années mes recherches à Nice dans ce secteur, via un parcours doctoral impliquant à la fois des biologistes et des mathématiciennes et des mathématiciens, afin d’acquérir cette double compétence et être au croisement des deux disciplines.

 

  • Quel est le domaine de recherche du contrat doctoral ?

La recherche qu’on va développer vise à étudier les phénomènes de plasticité synaptique utilisant des outils peu ou non invasifs dans des réseaux neuronaux. Dans les organismes vivants (condition in-vivo), les cellules qui font partie des réseaux neuronaux reçoivent et envoient constamment des messages électriques entre eux. La communication entre les cellules n’est pas fixe, mais change selon les stimulus et les conditions environnementales. Ce phénomène, qui se base sur des micro-modifications physiologiques et structurelles au niveau de la synapse, permet l’adaptation de réseaux simples à une stimulation, mais aussi l’apprentissage dans les réseaux plus complexes, comme dans le cerveau animal. Pour des raisons expérimentales, la majorité des études sur la plasticité synaptique s’est basée sur des tranches de cerveaux de différentes origines (condition ex-vivo). On se trouve dans une impasse scientifique qui ressemble au principe d’Heisenberg : on peut facilement étudier l’apprentissage chez les animaux, on peut facilement étudier la plasticité synaptique au niveau de la synapse dans une tranche de cerveau après avoir sacrifié l’animal, mais on n’est pas capable de faire les deux choses en même temps, c’est-à-dire, de comprendre et analyser les modifications des réseaux neuronaux pendant l’étape d’apprentissage dans des réseaux viables sur le long terme. Le but de mon projet de thèse est d’utiliser les mathématiques pour pouvoir comprendre l’impact infinitésimal de la plasticité synaptique sur un réseau neuronal viable. Pour cela, nous pourrons en particulier travailler sur des organoides qui sont des réseaux de neurones en culture, capables de vivre plusieurs mois et d’être mesurés soit de manière fine mais invasive (technique du PatchClamp) mais aussi de manière beaucoup moins invasive pendant des mois tout en soumettant le réseau à des stimulations (enregistrement électrophysiologique extracellulaire). Cette dernière technique est en particulier utilisée par l’entreprise Suisse Finalspark, avec qui nous allons signer un contrat.  Finalspark utilise les organoides comme bioprocesseurs, c’est-à-dire qui veut exploiter les organoides à la place des processeurs in silico des ordinateurs (ce qui réduirait grandement leur coût énergétique). Pour cela, une approche pour « programmer » les organoides à faire ce qu’on voudrait qu’ils fassent, serait d’utiliser la plasticité synaptique si on arrive à mieux comprendre son rôle et contrôler son effet à l’échelle globale du réseau.

 

  • Qu’est-ce qui vous a amené à faire des mathématiques en interaction ? Y’a-t-il eu des rencontres décisives dans votre parcours professionnel, ou bien des résultats qui ont profondément marqué votre relation aux mathématiques en interaction ?

Je trouve la jonction entre les sciences appliquées et les mathématiques fascinante. Dans plusieurs domaines la modélisation de phénomènes complexes augmente la puissance de la science à comprendre ce qui se passe autour de nous. Pendant mon master en Modélisation de réseaux neuronaux et cognitifs (Mod4NeuCog- Université Cote d’Azur), j’ai étudié directement l’application dans les neurosciences des outils mathématiques. La complexité intrinsèque des neurosciences fait de ce sujet un domaine idéal pour l’utilisation d'outils et de modèles mathématiques : on essaie de  comprendre le comportement collectif de centaines de milliers de cellules (dans de petits réseaux neuronaux biologiques), dont chacune contribue à un processus computationnel (en tant que petit processeur autonome, qui reçoit une entrée, l'intègre et renvoie une sortie sous la forme d'un signal électrochimique) et la réduction de la complexité que les mathématiques peuvent apporter est fondamentale. En d’autres termes, la biologie pure gagne énormément grâce à l’application de modèles en neurosciences. C’est précisément le pouvoir interprétatif qu’offrent les neurosciences mathématiques qui m’a convaincu de vouloir effectuer des recherches dans ce domaine. Je pense qu’il y a beaucoup de place à la compréhension dans cette science encore relativement jeune.

 

  •  Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à des candidates et candidats pour des contrats doctoraux ? 

Je suggère à celles et ceux qui aspirent à réaliser un doctorat dans un secteur particulier de recherche à explorer toutes les options de financement possibles et de ne pas hésiter à contacter des personnes susceptibles de connaître, promouvoir ou soutenir leur candidature à un éventuel sujet de thèse.

Les outils mathématiques ont ouvert une autre dimension aux neurosciences expérimentales et computationnelles. Ils sont l’avenir dans la compréhension de la complexité de notre cerveau.
Ingrid Bethus (Neurosciences)
Ce qui m’intéresse le plus est d’utiliser mes compétences mathématiques pour mieux comprendre comment un être vivant apprend.
Patricia Reynaud-Bouret (Mathématiques)

■ Interview de Patricia Reynaud-Bouret et Ingrid Bethus ▾

  • Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?

Patricia Reynaud-Bouret : Je m’appelle Patricia Reynaud-Bouret. Je suis Directrice de Recherche CNRS au laboratoire JA Dieudonné de l'Université Côte d’Azur. 

Ingrid Bethus : Je m’appelle Ingrid Bethus Je suis Professeure des Universités à l'Université Côte d’Azur et mène mes recherches à l’Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire à Sophia Antipolis. 

 

  • Quel est votre domaine de recherche? 

Patricia Reynaud-Bouret : Je suis spécialiste en statistiques, probabilités et modélisation pour les données issues des neurosciences et de la cognition.

Ingrid Bethus : Je m’intéresse à la dynamique et la plasticité des réseaux neuronaux au cours de l’apprentissage.

 

  •  Qu’est-ce qui vous a amené à encadrer un sujet de recherche de mathématiques en interaction ? Y’a-t-il eu des rencontres décisives dans votre parcours professionnel, ou bien des résultats qui ont profondément marqué votre relation aux mathématiques en interaction ?

Patricia Reynaud-Bouret : Je suis fascinée depuis de nombreuses années par l’apprentissage humain et animal, en particulier depuis ma rencontre avec ma collègue Ingrid Bethus (PR à l’Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire) qui co-encadre ce sujet et qui est spécialiste en neuroscience cognitive. Le phénomène d’apprentissage est fascinant, c’est à la fois une capacité humaine et animale mais aussi quelque chose que les statisticiennes et statisticiens implémentent par des algorithmes depuis des années. Cela a pris plusieurs noms : Machine Learning, Intelligence Artificielle, etc. Dans tous les cas, le but de ces recherches de mathématiques est de reproduire une capacité inhérente aux humains et aux animaux. Ce qui m’intéresse le plus est de faire le chemin inverse et d’utiliser mes compétences mathématiques pour mieux comprendre comment un être vivant apprend.

Ingrid Bethus : Il y a eu une rencontre décisive dans ma vie qui guide mes recherches depuis plusieurs années : celle avec ma collègue mathématicienne Patricia Reynaud-Bouret. Alors qu’en neuroscience les prouesses techniques permettent de collecter de plus en plus de signal au sein de notre cerveau (EEG, activité unitaire du neurone, activité de population de neurones dit LFP) l’analyse n’en devient que plus complexe. Aujourd’hui les mathématiques nous permettent d’élaborer des modèles et prédire l’activité globale du système. Grâce à cette rencontre et notre collaboration nous avons développé des modèles hétérogènes qui permettent de mieux voir les interactions dans l’activité du cerveau. Les outils mathématiques ont ouvert une autre dimension aux neurosciences expérimentales et computationnelles. Ils sont l’avenir dans la compréhension de la complexité de notre cerveau. 

 

  •  En quoi le contrat doctoral est-il innovant ?

L’autre rencontre décisive pour ce contrat fut avec l’entreprise Finalspark qui permet d’interagir avec les organoides depuis son bureau avec une simple interface Python. Ne serait-ce que cette prouesse est complètement innovante. Mais pour aller au-delà et comprendre voire utiliser les modifications des organoides au cours de leur vie, il faut pouvoir changer d’échelle et passer de l’échelle de la synapse à celle du réseau vivant. Avec ce sujet de thèse, on touche à la racine de l’apprentissage au niveau cellulaire et heureusement on peut compter sur la collaboration de deux experts du domaine : Romain Veltz qui a trouvé le modèle le plus compréhensif à ce jour de la synapse et Paula Pousinha qui est spécialiste des enregistrements PatchClamp et des organoides. On espère que les mathématiques réussiront à passer ces connaissances à l’échelle de l’organoide.

 

  • Quel est l’impact environnement et/ou sociétal espéré avec ce sujet de recherche ?

Si on comprend comment « programmer » des organoides, on pourrait alors remplacer certains calculs in silico très couteux en énergie par des calculs biologiques. De nombreux laboratoires et entreprises (dont Finalspark) font ce pari. 

 

  • Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à des candidates et candidats pour des contrats doctoraux ? 

Surtout explorer toutes les possibilités de financement !

 

  •  Y’a-t-il un message que vous voudriez faire passer ? 

En ces temps de morosité générale et de quête de sens, il nous semble que la science reste une bouffée d’oxygène, d’espoir et de curiosité qu’il faut savoir cultiver. En cela, apprenons toujours, cherchons toujours !

Crédits

  • Culture de neurones dans le cadre d’une étude des mécanismes moléculaires sous-jacents aux TSA, © Emmanuel NIVET / INP / INEM / CNRS Images